Extrait du journal

i Quand le voyageur, couché sur le pont, dans une couverture, se réveilla, la nuit était tombée. Une belle nuit d'automne, pleine d'étoiles. Un souffle frais et assez vif venait du large et gonflait les voiles déployées. Le roulis se faisait sentir ; à chaque mouvement de la lame, on enten dait craquer l’ossature du vieux bateau ; le bruit régulier, sourd et monotone de la machine ressemblait à la respiration pré cipitée d'un géant. On avançait, laissant derrière Soi un long.étroit et noir panache de fumée, dont l'extrémité sc perdait dans l’ombre et l'espace. En avant, l’horizon ressemblait à un gouffre obscur ; à gauche, la côte avait disparu ; quelques leux lointains en indi quaient seuls la place ; à droite, on pou vait suivre la ligne du rivage, qui se pro longeait en croissant jusqu’au bout de l'autre horizon, aux phares multicolores rapprochés les uns des autres ; çà et là, des fourmillements de lumières faisaient des taches dans la nuit. Le voyageur des-gna une de ces taches plus grande et plus rapprochée que les au tres, et, sc tournant vers l’homme qui se tenait à la barre, il lui demanda : — Quel est cet endroit > — Rovan, répondit l'homme ; nous allons gagner la pleine mer. Le balancement du bateau devenait de plus fort en plus fort ; le voyageur sc re coucha. Il resta quelque temps silencieux à regarder les étoiles, qui laissaient glisser jusqu'à l’Océan des rayons d'une douceur infinie. II I.c voyageur s’endormit; quand il sc ré veilla, bien des heures s'étaient écoulées. On était en pleine mer ; la lame était plus forte, la brise plus âpre : mais le ciel avait gardé sa pureté, et, avec une majesté in descriptible, le croissant radieux de la lune glissait au bord de l'horizon, entre le ciel et Veau. La vague sc creu ait et s’éle vait sans colère ; à peine, à sa cime, une légère frange d’écume s’illuminait - elle d'un reflet argenté. Le soupir du vent se mariait à la plainte profonde de l'Océan ; de ccs deux rumeurs se dégageait une note uniforme, d'une mélancolie qui pénétrait jusqu’à l'âme. Le voyageur s'assit et s'abandonna, sans doute, â l'une de ces rêveries comme les grands spectacles de la nature en font naître. Une voix vint l'en tirer. — Un beau temps, n’est-ce pas. Mon sieur > Le voyageur leva la tête. C’était l'homme de quart à la barre qui avait parlé. Comme il tournait le dos aux rayons de la lune, on ne distinguait de lui qu'une silhouette noire et massive. Mais il sc baissa pour allumer sa pipe et protéger la flamme de l'allumette contre le vent. Dans la lueur jaune et passagère de cette flamme, le voyageur reconnut un marin qu'il avait particulièrement remarqué pendant la journée. Ce n "était pas celui qui lui avait nommé Royan. C’était un homme de soixante à soixantecinq ans, d'une taille élevée,voûtée parles années. Le voyageur se le représenta comme il l'avait vu le malin, allant et venant, d'un...