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La Petite Gironde, 12 mai 1910

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La Petite Gironde
12 mai 1910


Extrait du journal

Paris, xo mai. Le mois de mai — j’ai le regret de le lui dire — est en train de compromettre sa vieille réputation. Je ne sais exactement quel temjjs il a fait à Bordeaux depuis le début du joli mois de mai; ce que je suis en mesure d’affirmer, c’est qu’à Paris nous avons eu à subir ce qu’on appelle, je ne sais pourquoi ; un temps de chien, le chien étant un animal charmant et tout à fait sympa thique. Nous possédons ainsi un stock considéra ble de locutions toutes faites qui jaillissent de plein jet dans les entretiens familiers. La chaleur, la froidure provoquent des comparaisons véritablement nationales. Prenez au hasard un Français dans la foule et posez-lui cette question quand il pleut et qu’il vente à la fois : — Quel temps fait-il? R. Un temps de chien. Dans d’autres circonstances, le résultat de l’examen est tout aussi facile à prévoir : D. Quel froid fait-il? R. Un froid de loup. D. A moins que?... R. A moins qu’il ne soit de canard. D. Comment gèle-t-il ? R. A pierre fendre. D. De quel genre est la chaleur? R. Elle est suffocante, étouffante ou tor ride. ’ D. Le vent souffle avec force; qü’avezvous à en dire? R. Que c’est un vent à décorner les bœufs. D. Fort bien. Abordons maintenant un autre ordre ou un autre désordre d’idées. Je m’aperçois que vous avez le nez rouge et que vous venez d’éternuer; en outre, vous avez toussé deux fois. Je crois pouvoir sans témérité en conclure que vous êtes enrhi»mé. Veuillez qualifier sommairement votre rhume. R. C’est un rhume épouvantable. D. Vous ne prétendez pas affirmer qu’il répand l'épouvante autour de vous; mais je vous entends ; c’est un rhume semblable à La plupart des rhumes : il est gênant. L’examen pourrait se prolonger indéfini ment; je l’arrête ici pour revenir au mois de mai et au printemps, dont H passe pour être le plus gracieux ornement. Les personnes qui croient à l’influence de la lune affirmaient que le mauvais temps qui nous importune devait prendre fin hier lundi. J’ai consulté un calendrier de tout repos, et j’ai constaté que le o mai était consacré à saint Grégoire et à la nouvelle lune. Les saints Grégoire, il y en a au moins quatre ; je crois même me rappeler qu’il y en a cinq, mais je n’affirme rien, parce qu’en matière d’hagiographie, il convient de se montrer circonspect ; quant aux plei nes limes, je n’ai rien à vous apprendre. Celle qui a débuté hier avait, paraît-il, cela de particulier, et de particulièrement re commandable, qu’elle devait nous ramener le beau temps. Or, elle n’a pas dû pouvoir mettre La main dessus, car la pluie a conti nué avec un mélange de grêlons gros comme des noisettes et un accompagnement de coups de tonnerre. . J'en conclus que nous continuons à subir l’influence de la lune qu’on appelle rousse sous le prétexte qu’elle roussit les plantes... Une négresse qui blanchit du linge n’est pourtant pas, pour ce motif, qualifiée de négresse blanche ! J’inclinerais donc à penser que la lune qui passe pour jouer de méchants tours aux horticulteurs serait mieux nommée : la lune rosse. Quoi qu’il en soit, le printemps, j’en fais la remarque avec amertume, est une des plus audacieuses mystifications de la jpoésie et de la nature. Il fleurit surtout dans l’imagination diaprée des pcxites. On peut affirmer — encore est ce beaucoup d’opti misme — que le printemps, saison surfaite, ne se manifeste guère qu’une fois tous les deux ans. C’est ainsi que des flatteurs impudents peuvent dire à une femme qu’elle paraît être dans son vingtième printemps quand, en réalité, elle frise la quarantaine. Cette année, les esprits inquiets attri buent la persistance du mauvais temps à la comète de Halley. Je dirais qu’elle a bon dos si les comètes avaient un dos; mais c’est là un point sur lequel les astronomes sont incapables de nous renseigner. Nous savons seulement qu’elle a une queue, la quelle est, à proprement parler : son sil lage. Tout cela m’amène à constater que l’on ne sait rien de précis sur les phénomènes atmosphériques ou météorologiques les plus fréquents ; c’est pourquoi la sagesse com mande de prendre le temps comme 11 vient. Avec d'autant plus de raison que la con naissance la plus certaine des causes du mauvais temps ne nous empêcherait pas...

À propos

Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.

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