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La Petite Gironde, 19 août 1898

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La Petite Gironde
19 août 1898


Extrait du journal

Profils de Pêcheurs. Ma première promenade à Luchon, où j'accomplis mon pèlerinage annuel au pied des montagnes bleues, a été pour cette petite rivière de la Pique dont le déborde ment avait laissé, l’an dernier, à pareille époque, tant de ruines sur ses rives élar gies. Je revois encore, sur un lit tumul tueux de cailloux, les épaves amoncelées, les débris qui avaient été des toits, des planchers, des meubles, plus que cela : un lambeau du cœur de tant de pauvres dia bles chassés de leur foyer par l'inonda tion. Comme les plus grands désastres lais sent peu de traces, îiaorvdans la mémoire de ceux qui en ont souffert, au moifts dans les aspects de la Nature indifférente ! La Pique est redevenue une sorte de large ruisseau charmant qui murmure dans un paysage délicieux. Rien de frais comme les ombrages qui lui font une façon de dôme de verdure. Je suis le sentier qui la longe, et bientôt ce sont de très douces rêveries qui m’y suivent comme un vol de papillons blancs. Voici un coin particulièrement so litaire où je m'arrête pour méditer et me souvenir. Tiens ! j’y ai deux voisins, très silencieux eux-mêmes, que je n’avais pas aperçus et qui semblent aussi ne se pas douter de ma présence. Deux pêcheurs à la ligne, ce qui explique leur mutisme et leur recueillement. Je me ferais, d'ailleurs, le plus grand scrupule de les déranger, dans leur paisible occupation, par quelque vacarme intempestif, étant, moi-même, un fervent de la ligne. Je me contente de les regarder avec envie. C'est. un couple de citadins qui s’en don nent à cœur-joie du bucolique plaisir. Je reconnais ce Monsieur — un personnage politique important du pays. Il s'exerce visiblement in anima vili à la pêche à l'électeur, laquelle l'intéresse infiniment plus que l'autre ; et, ma foi ! l'exercice parait lui profiter. Il a amené déjà deux ou trois proies frétillantes qu'il engloutit férocement dans un filet. Cet homme à lunettes me fait peur. Combien sa compagne mérite mieux d'attirer et surtout de retenir les regards ! Une jeune femme svelte, blonde, d’une grâce exquise, et qui tient, d'une petite main gantée de suède, le roseau inoffensif. Car son filet à elle est vide, et le poisson, en vérité peu galant, semble tout à fait indifférent à ses amorces. Mais, angéli quement patiente, elle ne se rebute pas et poursuit son rêve de friture avec une obs tination touchante. Il est vrai quelle a, pour se consoler de sa malcchance, la ressource de regarder, à ses pieds, son image dans l'eau, tout argentée par le frisson des saulayes, et je vous assure que ce spectacle en vaut beaucoup d'autres. Comme la beauté de la femme ennoblit...

À propos

Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.

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