Extrait du journal
des années qu’il le cherche, ce bouquin que peu de bibliothèques possèdent, et qui se vend cher, très cher. Et comme souvent notre amateur n’est pas riche, il ne peut se l’offrir. Il s’éloigne, pus beaucoup. 11 revient, caresse encore du regard la reliure, qui est d’un maître: par la pensée il feuillette les pages, con temple le titre, le nom de l’éditeur, lit et relit la date ; c’est bien le volume tant désiré. Des larmes jailliraient presque des yeux de l’infortuné, obligé cepen dant de s’en aller sans emporter la pré cieuse trouvaille. En route, il réfléchit, combine, fait des calculs d’argent; peut-être pourrat-il. dans quelques jours, faire la dé pense. .Mais le. lendemain il apprend qu'un riche bibliophile vient d’être averti de la présence du livre. Pas de doute à avoir, c’est ce dernier qui l’a chètera, quelle que soit la valeur. Et la douleur de l’amateur pauvre s’accroît do minute en minute. Puis, c'est de la co lère, de la rage. Il n’y tient plus. Et sou dain, une pensée mauvaise traverse son esprit. Il la chasse aussitôt loin de lui. Eh quoi ! lui, cet ancien officier re nommé au régiment par sa probité sans tache, son respect absolu de l’honneur, sc mettrait voleur I 11 irait dérober un livre à l’étalage ! Allons donc ! à quel cauchemar vient-il d’être en proie ! La pensée revient, obsédante, tyran nique. Le malheureux voit son rival en trer chez le libraire, souriant, la bourse pleine, prendre le livre, le palper, en exa miner le dos et les plats, et l'emporter triomphant. Eh bien I non. N’en a-t-il lias assez, celui-là, d’éditions merveil leuses. introuvables, qu'il montre avec un orgueil insolent ? A chacun son tour. Et, non sans trembler, en regardant derrière lui comme s’il était suivi par dv< gendarmes, il va droit chez le li braire : -- Quelles nouveautés, aujourd'hui ? Quel est le roman a lire ? Un commis lui donne un tas de livres récemment arrivés, il les prend, les tourne, les retourne, les ouvre, fait semblant de lire. Ah! si vous lui de mandiez seulement les titres, i! serait bien en peine de vous répondre. Les let tres dansent devant ses yeux; son cœur bat à lui rompre la poitrine. S’il allait être pris sur le fait. Et, honteux de lmmème, il veut fuir. Mais là, là, dans la vitrine entr’ouverte... il n’a qu’à tendre la main et le volume tant convoité sera dans sa poche. Le commis est occupé à servir d’au tres clients; le patron est dans un coin, déoouillant son courrier. Un geste, et c’est fait. Voleur ! il est voleur, mainte nant. Dans la rue, car il est parti aussi tôt le délit commis,achetant un bouquin de trois francs pour donner le change, dans la rue, le rouge de la honte lui monte au visage. Quelqu’un qui lui serre rait la main verrait qu’il est tout trem blant. Chez lui, il cache le livre; il ne faut pas qu’on vienne le découvrir au beau milieu de sa bibliothèque. Plusieurs jours se passent, plusieurs semaines; jamais il n’est venu au libraire l’idée de soupçonner le véritable auteur du vol. Celui-ci commence à être sûr de l'impunité. De temps en temps, il prend le livre dans sa cachette; il commence à jouir de sa possession. La tranquillité renaît dans son esprit. Mais, un beau jour, il recommence et il est pris. Et devant le tribunal, accablé par le repentir, il avoue le premier délit que cependant tout le monde ignore. Son avocat le présente comme un de ces ma niaques qui collectionnent n’importe quoi, et qui, pour enrichir leur collec tion, en arrivent à perdre la notion du tien et du mien. Celui-ci collectionnait des livres, etc., etc. Le malheureux est néanmoins condamné. Ne croyez pas, lecteurs, que tout cela ne soit qu’un jeu de notre imagination. Le cas que nous venons de supposer est plus fréquent que vous pourriez le croire.....
À propos
Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.
En savoir plus Données de classification - eugénie
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