Extrait du journal

UNE BRUTE Un acte de sauvagerie. — Au 4* régiment du génie. — Un simulacre d’exécution à Grenoble. — Les exploits d’un galonné. Un acte de sauvagerie absolument révol tant vient d'être commis à Grenoble par un officier du 4« régiment du génie. Le soldat maître ouvrier Douhaire était soupçonné d’avoir pris un porte-monnaie à un de ses camarades. Lundi soir, à onze heures, un lieutenant de ce régiment ee rend à la caserne, interroge les hommes de sa com pagnie et les fait fouiller. Malgré cette me sure aussi vexatoire qu’arbitraire, la brute Jalonnée ne put découvrir l’auteur du méait sur l’existence duquel on avait pas de preuves.Furieux de ne point trouver le coupa ble, l’officier fit appeler Douhaire qui,déjà in terrogé,avaitprotesté de son innocence et nié énergiquement les faits qui lui sont fausse ment imputés. il le questionne à nouveau et cherche par tous les moyens à lui arracher des aveux. Le soldat persiste dans scs dénégations. Il n’a pas commis de vol, il ne peut avouer qu’il est le coupable recherché. Mais l'ignoble galonné ne so décourage pas. Il veut avoir sa victime. Il l’aura 4 tout prix. Et ne reculant devant aucun acte de brutalité, fort des deux galons qui ornent ses manches, il menace le pauvre soldat du pe loton d’exécution. Après trois heures de tortures morales épouvantables le lieutenant ayant pu avoir le mot du poste de garde — le génie exécutant souvent des travaux de nuit — sort de la ca serne avec un groupe d'hommes en armes munis de cartouches à. blanc. A deux heures du matin le malheureux Douhaire est emmené par une escouade au polygone qui se trouve à trois kilomètres de la caserne. < Arrivé là, une parodie d’exécution a lieu derrière les vastes buttes. L’officier procède à un nouvel et dernier interrogatoire de Douhaire. Puis, n’ayant pas obtenu les ré ponses qu’il désirait, l’officier lui fait bander les yeux. A vingt pas de cette lugubre silhouette, le peloton d’exécution se place. Le malheureux ne perd pas courage. 11 sait que sa conscience est nette, que faussement on l’accuse, qu’illégalement il va être con damné, et il est décidé à supporter courageu sement l’argument suprême de la soldatesque et à crier son innocence jusqu’à ce que son corps meurtri par les balles s’affaisse. Ce spectacle épouvantable émeut ses cama rades. Ils ne comprennent rien à cette horrible co médie. Tremblants, les yeux fixés sur la masse noire qui s'estompe à peine dans la brume, l’arme aux pieds ils attendent. D’une voix rauque le lieutenant com mande : « En joue ! Feu! » Les soldats déchargent leur arme. Dans la nuit silencieuse une petite lueur rouge appa raît et les coups de fusil résonnent longue ment. Devant la butte la masse noire est toujours debout. Et dans la nuit froide et triste un cri s’élève : « Je suis innocent ! » Cette voix qui claironne dans les ténèbres, c’est celle du malheurex Douhaire. A la suite de ces faits monstrueux que les autorités militaires ne pouvaient étouffer, une enquête est ordonnée. La véracité de cet épouvantable récit est reconnue. Le lieute nant île génie est frappé de soixante jours d’arrêts de forteresse. Mais déjà la soldatesque fait courir le bruit quo cette brute a dû être subitement atteint d'aliénation mentale. Nul doute qu'elle ne proclame son entière innocence et que demain cet officier ne soit rentré à la caserne, où il pourra librement se livrer à des actes aussi odieux que celui dont nous venons de faire le récit. Edmond Claris....