Extrait du journal

de l’affaire? Serait-ce donc que gouver nement, journaux, badauds, amateurs de scandale et pêcheurs en eau trouble ont intérêt à prolonger l’imbroglio qui énerve la France? » Que répondre à cela, sinon que les Français ne savent pas encore faire leurs affaires eux-mêmes; que peutêtre après tout la France s’amuse en ce moment ; qu’elle se complaît à des pro cès montés comme des représentations dramatiques ; qu’elle est une nation théâtrale, qui adore les émotions, les péripéties imprévues, le roman dans la vie? J’assistais, la semaine dernière, au Théâtre Antoine, A la première do la Gage, une pièce hardie et vibrante de Lucien Descaves, mais certes pas plus dangereuse que les Mauvais Bergers. Un des personnages vint à dire : « L’odeur du sang ne répugne pas à notre bourgeoisie. » — A l’instant, un monsieur se lève furieux à l’orchestre et crie à tue-tête : « Des poursuites ! Je réclame des poursuites contre cette pièce. C’est une excitation à la haine des citoyens les uns contre les autres ! » Emblème hélas ! de ce qui se passe dans notre société française. Nous marchons grand train à l’intolérance fanatique. Nous ne savons pas écouter, discuter des idées, supporter la contra diction. Au moindre mot qui choque nos opinions, appel à la violence ou à l’autorité, ce qui est la même chose sous deux faces différentes. Nous avons inscrit la liberté sur les murs ; nous avons essayé de la mettre dans quelques lois. Quand l’auronsnous dans les moeurs avec le respect d’autrui et le respect de soi-même qui en sont les conditions essentielles? Quand serons-nous un peuple majeur et digne d’être libre ? Et pourtant... dans la fermentation qui remue la France en ce moment, estce seulement une eau bourbeuse qui frémit, bouillonne, écume? Est-ce, au contraire, étant donné que tant d’hom mes endormis longtemps dans leur égoïsme se découvrent un subit amour du droit, est-ce la source des révoltes fécondes qui se rouvre de façon tumul tueuse? Est-ce la formation d’un grand courant qui emportera les âmes vers les justices futures? Je no sais. La France est un pays de surprises et de brusques réveils. Elle pourrait bien pro fiter de la secousse pour se réveiller et se reprendre ! Et d’abord, quelle que soit l'issue du procès intenté à M. Zola, est-ce que quelqu’un n’en tirera pas une première conséquence ? N’y aura-t-il personne à la Chambre pour déposer la proposition formelle de refondre et humaniser no tre système de justice militaire? — Quand on aura commencé par celle-là, on pourra continuer par notre justice civile. GEORGES RENARD....