Extrait du journal
Les philosophes stoïciens avaient raison : il y a dans les événements des liaisons sympathiques et d intelli gentes conjonctures. A l’heure même où Georges Berry, le lourd mystifié, se débat dans les inventions semifacétieuses, semi-délirantes de Gros, un autre mystifié, celui de Karl, se lève de nouveau. Quesnay de Beaurepaire reparaît, et il signifie à la pro cédure de révision qu’elle n’ira pas plus loin. Pourtant, il a plus de tristesse en core que d’assurance, et il se demande avec inquiétude sur quoi, sur quels documents, sur quelles hypothèses la demande de révision est appuyée. Mais quelle impatience, ô mystifié illustre! Le procès ne se jugera point X huis clos ; les enquêtes prochaines de la Cour de cassation seront con nues et publiées ; c’est en audience, publique que sera débattue la révision, et que la défense produira les faits nouveaux, les crimes encore inconnus du vieil état-major faussaire. Pour quoi n'attendez-vous point quelques jours encore? Mais non, Quesnay se répand en conjectures. Et tout d’abord il nous assure que Czernusky, le taux témoin serbe, est le modèle des témoins. El comme il pratiquait bien la vertu de pauvreté! Quesnay se demande même, avec une candeur effrayante, comment il a pu payer son voyage à Piennes, et il suppose que la femme de Czernusky a vendu « son dernier bijou ». Voilà un ménage qui est mûr pour le prix Montyon. Mais surtout, c’est l’idée qu’on pour rait invoquer comme moyen de révi sion la fable inepte et scélérate du bordereau annoté et l’usage qu’en ont pu faire les faussaires, qui bouleverse Quesnay. Celte pièce, s’écrie-t-il, per sonne lie l’a vue. Elle n’a jamais pris « forme judiciaire ». Elle n’a été qu’un « papotage d’antichambre ». Le mot est dur pour tous ceux qui affirmèrent l’existence et la valeur du document. Il est dur pour M. Mi 11evoye, qui à Suresnes en a récité le texte, et qui devant la Chambre a pris l’engagement de s’expliquer, à la première enquête légale, sur la façon dont il l’a connu. C’est « dans le dos sier B » qu’était, selon M. Millevoye, la pièce terrible. Et maintenant, cette foudre dormante, qu’on ne pouvait ré veiller sans mettre le monde en péril, ne serait qu’un « papotage d’anticham bre »! 0 décadence ! Bien dur aussi est M. Quesnay de Beau repaire pour M. Rochefort, qui lui-même, sous sa si gnature, a affirmé que le bordereau annoté de la main de Guillaume II existait vraiment. Il le savait, il en était sûr, et il adjurait le commandant Cuignet de l’appeler en témoignage devant n’importe quelle juridiction. Quoi ! et en quel doute profond nous jette M. Quesnay? Le vieillard subtil aurait donc été, lui aussi, dupe d’un papotage d’antichambre ! Il l’aurait ac cueilli, colporté, garanti ! M. Rochefort aussi sera intéressant à entendre, Papotage d’antichambre, dit M. Quesnay. Oui, et en un sens je suis porté à croire qu’il a raison. Cette fois, on n’a pas osé recommencer à Rennes le coup des pièces secrètes communiquées matériellement aux juges. Recommencer purement et simpi' ment le crime de 1894 pouvait pa raître dangereux, et il est probable en elfet que le bordereau annoté n’a pas pris à Rennes « forme judiciaire ». il est, selon le mot très suggestif de M. de Beaurepaire, resté dans l’anti chambre. Ce n’est pas dans le prétoire, mais dans le vestibule du prétoire, par exemple au Cercle militaire, que l’existence du document terrible était affirmée, tout bas, tout bas. C’était une confidence de patriote à patriote, un de ces lourds secrets patriotiques dont le cœur se décharge silencieuse ment dans un cœur ami : « Vous sa vez, le général Mercier ne peut pas dire tout haut, devant la France, qu’il possède le bordereau annoté. Ce serait déchaîner la guerre avec l’Allemagne ! Mais, ô vous qui allez juger demain, pouvez-vous ignorer qu’il porte sur lui cette pièce formidable ? Il ne la montrera à personne, pas meme à vous. Mais il l’a sur lui, je vous l’assure, je suis autorisé à vous le dire. Compre nez-vous maintenant le vrai sens de la réponse sibylline qu'il a faite à ce lui de vous " qui l'interrogeait làdessus ? » Ainsi allaient les « papotages ». Ainsi se faisait la communication occulte et scélérate, sans que nul cou rût le risque d'une production directe du document. Ainsi ceux des juges qui hésitaient étaient entraînés, éga rés. Et l’on se réservait de dire le len demain, si le monstrueux secret per çait un jour : « Papotages d’anti chambre ! » M. Quesnay de Beaure paire a trouvé la formule exacte, ou il l’a bien retenue....
À propos
La Petite République française – puis socialiste de 1898 à 1905 – fut une feuille républicaine à cinq centimes lancée en 1876 qui connut un succès relatif dans les premières années de la Troisième République. Satellite de La République française de Gambetta, les deux publications deviennent indépendantes en 1878 avant que la diffusion du journal ne s’amenuise à la mort de ce dernier en 1882.
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