Extrait du journal

pas faire qu’il soit coupable et ils ne pourront pas supprimer les preuves qui, pour tout honnête homme, dé montrent son innocence. Qu’ils publient l’enquête, et qu’ils osent ensuite condamner de nouveau le martyr. Je l’avoue : je serais presque curieux de ce spectacle. Je voudrais voir comment vit une société avec un crime permanent dans ses profondeurs, avec le cadavre d’un innocent dans le sous-sol de ses lois. Je voudrais voir ce que dit, ce que pense, ce que rêve un grand peuple passé tout entier à l’état de crime, et de quel délire étrange sa conscience enfin serait bouleversée. Il essaierait quelque temps de s’é tourdir par l’hypocrisie des fictions lé gales, mais, malgré tout, il ne pourrait tenir longtemps contre son propre crime. 0 gouvernants, voulez-vous con damner la France à cette épreuve? Voulez-vous donner au monde le spec tacle inconnu encore de ce phénomène moral : un grand peuple tout entier se faisant délibérément assassin? Prenez garde! prenez garde! Une société est perdue qui soumet à une telle crise la conscience humaine. Ne vous flattez pas de venir à bout, par la ruse ou la lassitude, du problème qui est posé. Il s’agit de savoir si trente-six millions d’hommes auront sur leurs mains un puu de sang inno cent. Et ce problème-là, il faudra bien le regarder on face. Les roueries de Freycinet ne le tourneront pas. •JEAN JAURÈS,...