Extrait du journal

Le prodige s’est accompli, hier, à l'heu re dite, et dans les conditions les plus belles qui se pussent souhaiter ; au fond d'un abîme d'azur, sans la contrariété d'un seul nuage, la splendeur du soleil s est éteinte aux regards des hommes, les douze coups de midi ont sonné la venue du cré puscule et Séléné la pâle noctambule est apparue sur le ciel bleu à contre-jour, auréolée d’une gloire d’emprunt. Ce spectacle aux temps anciens faisait passer dans les cheveux des hommes un souffle de hagarde épouvante ; hier il a passionné durant tout le jour le peuple de Paris réputé le plus sceptique du monde ; de l’aurore normale au vrai crépuscule, on n’a pas regardé ni commenté autre chose et l’on en reparlera au moins aussi longtemps après qu on en avait parlé avant. Nombre de citadins, ayant voulu pour une fois qu'ils allaient voir une éclipse totale, La contempler aussi totale que possible, étaient partis aux champs avec force provision de verre fumé et de jam bon également fumé, munis de l'horaire de l'éclipse et du plan de l’éclipse et fort sou cieux de ne pas se tromper d‘un mètre ni d’une minute dans le choix du point de vue, ni du moment . Ainsi la gare SaintLazare connut cet envahissement des grands jours qu’elle ne prévoit • jamais sans un certain émoi et les trains de la ligne de Saint-Germain durent être triplés dès huit heures ; de même, sur le réseau du Nord, ceux qui vont vers Pontoise ; à Montparnasse les élèves de Polytechnique s'embarquaient par convoi spécial à desti nation de Neauphte-Le-Chuteau, allant à Trappes observer studieusement le phéno mène. Les astronomes à leur poste Les astronomes, tant amateurs qu’offi ciels, avaient pris leurs positions dès la veille et braqué dès le matin l'artillerie pa cifique des télescopes et des lunettes : MM. Bigourdan et Nordman, de l'Obser vatoire de Paria étaient à la batterie de...