Extrait du journal

(Ouverture.) Mardi passé, 1er octobre, à huit heures et quelbues minutes du soir, un grand bruit d’instruments à cordes, qui soudain s’étaient mis à mugir, est venu me tirer d’un sommeil léthargique. instinctivement je portai la main et jetai les yeux autour de moi. Je me trouvais dans une salle élégante et riche, éclairée par un grand lustre et de petites lampes munies de leur abat-jour, assis sur un strapontin fort peu commode et fixé au mur. Ma vue, troublée par un réveil subit, ne distingua d’abord que des objets confus, mais peu à peu les lignes se détachèrent plus nettes, les couleurs plus vives, les contours plus arrêtés; j’étais, à n’en pas douter, dans une salle de spectacle ; des femmes qui la nuit semblent belles comme le jour resplendissaient à chaque loge dans des toilettes blanches ou roses, mais vaporeuses et éthérées ; d’autres se contentaient de briller à l’orchestre plus humbles et moins en vue ; c’est même ce qui me fit hésiter quelque temps à reconnaître Ventadour, à cause de certaine circulaire dont j’avais rêvé ; mais le doute bientôt ne me fut pins possible... à deux pas de moi, au balcon, sommeillait le Persan à barbe blanche, dans son fauteuil habituel ; aux secondes, en face, MM. Fiorenlino et Saint-Valry ; au-dessous Henry de Pêne; ici, plus bas, Auber; là, Edouard Gourdon; là, Bessems; tous enfin, les habitués de tous les jours, à leur poste fidèles ; chacun s’éveillait en se frottant les yeux. J’interrogeai mes voisins... l’été n’avait point laissé chez eux de souvenirs... j’appelai l’ouvreuse, elle me présenta mon paletot du dernier hiver... Evidemment, nous avions dormi cinq mois !...