Extrait du journal
je ne crois guère à l'existence des mauvais livres. Celui dont je veux parler aujourd'hui fait exception. Quel que soit le talent de l'auteur, — qu'on a beaucoup exagéré à mon avis,— quelles que puissent être ses intentions, 1 ou vrage de M. Lucien Descaves est néfaste, parce qu'il est de nature à ralentir la grande œuvre de réconciliation nationale autour du drapeau et à réjouir nos ennemis de l'autre côté du Rhin. Il est néfaste aussi, parce qu'il sera lu sur tout par des personnes ignorantes des choses ïnilitaires, et qu'elles y apprendront le con traire de lavérilé. Elles croiront avoir trouvé une photographie, alors qu'elles ne tiendront entre les mains qu'une caricature. Je ne connais en aucune façon M. Desca ves; je suis tout prêt à lui reconnaître un certain tempérament littéraire, digne d'être encouragé dans une raisonnable mesure. Mais la littérature n'est £as tout ; c'est moins que rien, quand on la fait servir contre les intérêts de la Patrie. M. Descaves ne l'a pas voulu peut-être; mais malheureusement il l'a fait. Il faut, désormais, que tous les Français passent à tour de rôle par cette grande école d'apprentissage national qui s'appelle l'armée ; il faut qu'ils y viennent apprendre les de voirs suprêmes qui s'imposeront aux jours du péril. Quelques-uns supportent avec peine ces obligations, dures souvent, par lesquelles pourtant se forment les armées. Ils perdent de vûe l'ensemble, voient les faits à l'envers, sont froissés de quelques menus détails, et font payer ensuite à la Patrie elle-même, le prix de leurs petites rancunes particulières. C'est là ce que semble avoir fait M. Des caves. Le jeune homme indépendant de caractère, qui arrive pour la première fois à la caserne, se trouve en présence des officiers, mais à distance. Il prend au contraire un contact direct avec les sous-officiers, ces pions de l'armée, comme les appellent dédaigneuse ment certains beaux fils de famille. L'autorité des sous-officiers semble lourde, parce qu'elle vient peser sur les épaules du soldat, à toute heure de la vie militaire. . Pour le penseur, ils sont d'autant plus di gnes d'estime et de respect que leur situation hiérarchique est moins élevée. Pour l'étourdi qui ne comprend pas ce que c'est que la dis cipline, quel en est le but élevé, le sous-offieier devient un être haïssable, que le mau vais soldat voue à l'exécration, même son temps de service accompli, comme le cancre de collège déteste ses maîtres d'études, après avoir quitté les bancs de l'Université. Ne mériteraient-ils pas un autre traitement, ces braves gens auxquels le législateur, de puis tant d'années, a tant promis et si peu ac cordé! N'y a-t-il pas lieu d'admirer, au con traire, le courage et l'entrain qu'ils mettent dans l'accomplissement de leurs pénibles fonctions, et l'ardeur que beaucoup apportent à acquérir l'instruction qui leur permettra de prétendre à l'épaulette ! On a beaucoup gémi depuis longtemps sur la pénurie des sous-officiers; et malgré tout, le corps des sous-officiers a conservé assez de vigueur pour qu'il n'y ait à ce sujet aucun péril à redouter. Ce n'est pas de ce côté-là qu'est le point faible de notre armée. Les sous-offi ciers d'aujourd'hui ne sont pas pareils à leurs devanciers d'il y a vingt ou trente ans; ils ont des qualités différentes, mais ne valent pas moins, et conviennent mieux à l'armée ûouvelle. Qu'il y ait, parmi eux, quelques hommes tarés, c'est inévitable sur un si grand nom bre. Où donc n'y en a-t-il pas? Mais c'est une infime, très infime exception. Et tirer parti de ces observations personnelles, s'appliquant à des unités, pour étendre le discrédit et la mé sestime sur l'ensemble, c'est porter atteinte à la vérité comme à la justice. H a été. dit récemment, dans les journaux, que de nombreux sous-offleiers de l'armée de Paris, émus et indignés du livre de M. Des caves, avaient voulu tirer au sort pour en voyer un d'entre eux lui demander raison. Le ministre de la guerre, paraît-il, s'y est opposé. On sait que je n'ai pour le ministre actuel aucun motif de tendresse particulière, et ce pendant je trouve qu'il a bien fait en cette cir constance. Un coup d'épée, en pareille matière, ne prouve pas grand' chose et ne rectifie rien Ce iuel eût donné plus de retentissement au vo lume publié, et voilà tout. La vengeance de nos. vaillants sous-officiers BSt ailleurs ; ils la trouveront dans l'estime universelle que leur accordent ceux qui ont vu l'armée de près,et ne l'ont pas simplement aperçue à travers leurs petits égoïsmes ou leurs rancunes personnelles. Ils la trouveront aussi dans leur propre conscience, dans la jatisfaction du devoir quotidien, souvent péûible, et bien accompli. Quant à M. Descaves, dont il faut, sans l'exa gérer, reconnaître la valeur littéraire, il ne àoit pas s'étonner ni s'offenser, au milieu du bruit qui se fait autour de son livre, s'il nous entend crier de toutes nos forces : « Lisez 1 mais sachez que ce n'est pas'Ta vérité! » M. Descaves, vous me faites l'effet d'être jeune, bien jeune. Cela me donne le droit de vous adresser un double conseil ; et je suis iissuré d'avance que vous ensuivrez la se conde nartie ;...
À propos
La Presse, fondé en 1836 par Émile de Girardin, fut l’un des premiers grands quotidiens populaires français.
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