Extrait du journal
Pabis, G décembre. On connaît l'empire des mots dans les temps de révolution. Il est donc bien important, quand viennent les jours d'ordre etde paix, de bien définir les mots dont on se sert, et de rétablir ie sens de ceux dont on a abu>é. Et cela importe d'autant plus aujourd'hui, qu'une _ législature nouvelle a le droit de récuser les préjugés ou les mauvaises habitudes de ses devancières, et que c'est seulement à ce prix qu'elle marquera sa place dans nos fastes parlementaires. Depuis 1830, et surtout dans les premières années, on a beaucoup abusé de ces deux qualifications : les hommes de juillet; les hom mes de la restauration. On en a fait usage, tour-à-tour, comme de titres d'exclusion ou de préférence. D'abord, on repoussait avec un aveuglement passionné tout homme qui avait.servi sous la restau ration, et on réclamait une confiance illimitée pour quiconque pré tendait, à tort ou à raison, avoir pris part aux événemens de juillet. Des exclusions injustes eurent lieu ; de mauvais choix furent faits. Bientôt il y eut réaction, et on passa, trop brusquement, d'une con fiance irréfléchie à une méfiance systématique contre les hommes qui s'étaient signalés par une opposition trop vive avant 1830, ou par des sympathies trop ardèntes pour la révolution de juillet. C'était changer de tort. Le gouvernement a plus d'une fois cherché à se préserver de ces deux erreurs; mais la presse périodique n'y a point renoncé. Pour certains écrivains, les hommes de la restauration sont, tous, des jé suites; pour d'autres, les hommes de juillet sont, tous, des jacobins. Tels sont les jugemens passionnés et absolus des journaux. Mais l'opi nion doit être éclairée sur leur valeur, et il appartient à une chambre nouvelle d'effacer ces dénominations de partis. Qu'est-ce, en effet, que ces mots àe restauration et de juillet, pris absolument ? Il y a eu deux restaurations; il y a eu deux juillet. Qu'on nous permette ces ellipses, qui traduisent mieux notre pensée pour tous les esprits, par des expressions qui leur sont familières. Il y a eu deux restaurations : la restauration constitutionnelle de Louis XVIII, la restauration contre-révolutionnaire de Charles X. La restauration de 1814 était soutenue à son origine par deux partis bien distincts qui lui préparaient, l'un et l'autre, un avenir bien différent : un parti libéral qui voulait l'exécution de la charte, le respect des sou venirs nationaux et des institutions populaires; un parti rétrograde qui voulait l'influence de la cour, les droits de l'émigration et des institu tions privilégiées. Ces deux partis, qui ont suivi d'abord deux lignes parallèles et bientôt deux lignes divergentes, se sont de plus en plus écartés l'un de l'autre, durant quinze ans, et sont venus aboutir, l'un à Cherbourg, l'autre au Palais-Royal. La révolution de juillet n'était donc que le triomphe du parti constitutionnel de la restauration. Voilà ce Qu'il ne faut pas se lasser de répéter à ceux qui prennent à tâche de l'oublier. La charte de 1830, elle-même, a consacré cette vérité, en main tenant les pairs de Louis XVIIf, en excluant les pairs de Charles X ; et cela une semaine après les journées de juillet, dans l'énivrement de la victoire, quand les passions n'avaient pas encore complètement fait place aux principes. La charte clë 1830*a coupé en deux les quin ze ans de la restauration, adoptant une partie de ses souvenirs, de ses hommes et de ses institutions, et repoussant l'autre partie fondée sur l'article 14. La charte de 1830 a même conservé dans l'un de ses articles (l'article 10) ce mot de restauration dont on a voulu faire un titre de proscription. Les jeunes gens qui ont pris le ton de maudire la restauration qu'ils n'ont pu apprécier, puisqu'ils étaient enfermés dans les écoles, ne font qu'imiter les émigrés qui ., après 1814 aussi, insultaient aux vingtcinq années de la république et de l'empire, qu'ils avaient jugées du fond de l'exil et sous l'influence de l'étranger. Aujourd'hui, cepen dant, nous profitons des institutions administratives et des mœurs li bérales dues à la restauration, comme, sous la restauration, les émigrés profitaient des institutions civiles et des moyens de pouvoir que l'on devait à "empire. Il y avait aussi deux parts dans les 25 ans écou lés de 1789 à 1814 : celle des hommes de crime que le pays avait su bis et punis ; celle des hommes d'ordre qui avaient rétabli le pouvoir et la société. C'est à la puissante administration fondée par l'empire que l'émigration a été redevable des moyens qui ont rendu possible et facile l'immense opération de l'indemnité ; de même, ce sont les prin cipes de la loi d'élection de 1817, de la loi de recrutement de 1818, et des lois de la presse de 1819, qui régissent aujourd'hui ces trois importantes matières. Ce sont là des faits incontestables. Les hommes delà restauration constitutionnelle de 1814 à 1819 sont donc natu rellement les hommes de la révolution constitutionnelle de 1830. Il y a aussi deux juillet, c'est-à-dire deux partis de juillet;.et il en est ainsi après toute révolution. La révolution de 1789 était toute nationale; un an ne s'était pas écoulé qu'elle s'était partagée en deux principes, exploités par deux partis différens : le principe du progrès, des améliorations, de la monarchie tempérée qui avait dicté les re montrances des parlemens, les cahiers des états et même les vœux de l'assemblée; le principe du renversement, de la violence etde la destruction, qui avait pendu Bertier, égorgé Foulon, vociféré le 6 oc tobre ! Au 10 août 1792, le second priiicipe absorba le premier. De là 1793, les échafauds, la guerre civile, la guerre étrangère, et, au bout de tout cela, un remède extrême à des maux extrêmes, le despo tisme, les conquêtes, les cosaques, et les réactions du parti qui avait succombé en 1789. Eh bien! après 1830, deux principes se posaient aussi en présence, pour se disputer l'exploitation du nouvel ordre de choses : le principe des progrès de 1789, de l'opposition constitutionnelle des quinze ans, de l'adresse des 221, de la charte du 7 août, et du serment synallagmatique du 9; et le principe des conspirations extra-légales des dix dernières années, de la souveraineté populaire, et de la domination des clubs et des émeutes. Fallait-il donc, malgré l'expérience faite quarante ans auparavant, laisser encore le mauvais principe triompher du bon, comme en 1790, pour exposer le pays à parcourir encore le même cercle d'anarchie, de despotisme et de réaction ? La France a profité des leçons qu'elle avait reçues. Le principe conservateur et progressif a triomphé, en 1832, du principe destructeur et subver sif. La politique du gouvernement s'est appliquée à développer, non pas les conséquences, mais les considérans de là révolution de juillet ; car les considérans, c'étaient les principes constitutionnels et les vœux éclairés de l'opposition des quinze ans; 1rs conséquences, comme on les entendait, c'étaient de nouvelles révolutions. Il y a donc aussi deux espèces d'hommes de juillet, comme il y avait deux sortes à'hommes de la restauration. Seulement la ré volution de juillet, plus heureuse que celle de 1789, plus heureuse que la restauration de 1814, a .vu les hommes de son bon principe l'emporter sur les hommes du mauvais; elle est maîtresse de son ave...
À propos
La Presse, fondé en 1836 par Émile de Girardin, fut l’un des premiers grands quotidiens populaires français.
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