Extrait du journal

rit seulement de pain : elle a d'autres besoins plus relevés et plus nobles. Il lui faut encore l'affection, la tendresse et l'amour. Et Jeanne n'aimait personne, et personne rte l'aimait, et la jeunesse bouillonnait en elle, et la sève de ses vingt ans lui'montait au cerveau: avec' ses enivrements et ses troubles. Elle se deman dait s'il fallait vraiment se • donner tant de mal pour obtenir un si mince résultat ; si elle avait su prendre la bonne part. Que lui reste rait-il de ces triomphes de salon, dont elle avait failli plus d'une fois s'enorgueillir? Où tant d'efforts la conduiraient-ils? A quoi bon marcher toujours, si l'on ne devait jamais ar river? Les nécessités du travail, les exigences de la tâche quotidienne lui apportèrent une dis traction aussi heureuse qu'opportune. Les le çons ne pouvaient être remises; n'était-ellé pas attendue à heure fixe aux quatre coins de Paris? Il fallait courir d'un quartier à l'autre pour aller enseigner à des élèves plus ou moins intelligentes, l'histoire, la géographie, et la rhétoriques-car, à présent, ces demoi selles font leur rhétorique aussi bien que nous, et mieux que nous. Et cela même n'était pas tout. U fallait en core, partout et toujours, montrer un front calme et un visage souriant. Une institutrice est une femme; il lui est bien permis d'avoir un cœur et une âme,. . elle peut avoir, comme les grands lacs, ses tempêtes intérieures; elle peut subir l'assaut des passions.,, mais à la condition de n'en jamais rien laisser^ voir au dehors. 11 ne faut pas que les jeunes âmes confiées à ses soins puissent rien soupçpnner de ces choses secrètes et terribles. Que l'orage gronde en dedans, mais que l'on n'entende jamais les éclats de la foudre ! Jeanne le sa vait, et elle ne l'oubliait jamais. La vie à la quelle les circonstances l'avaient condamnée la trouvait maintenant docile, et façonnée à toutes ses exigences. Le lendemain de la soirée de Mme de l'Isle, Jeanne oublia ses émotions et ses triomphes, donna ses leçons, et le soir, en rentrant chez elle, se trouva beaucoup plus forte que le ma tin. Elle n'avait pas encore ôté son chapeau et...