Extrait du journal

bles, d’autant plus insupportables qu’ils sont développés avec bonne foi. La pudeur prêchée par les effrontés, peu nous importe. Il importe, au con traire, de ramener à une appréciation plus juste des faits les hommes qui sont mus par des scrupules de con science. Ces scrupules, en vérité, n’ont rien à faire ici, quand il s’agit de donner à un pouvoir des moyens d’action dont il est impossible à n’im porte quel pouvoir de se passer. Moi, si j’osais — et pourquoi ne pas oser ? — aller au bout de ma pensée, je dirais qu’un million c’est bien peu pour l’argent de poche de l’Etat. Car c’est un million qui reste au ministère de l’intérieur, quand il a donné six cent mille francs à la préfec ture de police, dont les crédits sont insuffisants pour les services exté rieurs et internationaux. On n’en est pas venu encore à contester la néces sité de ces services, pas plus que celle des fonds pour l’espionnage militaire et uour l’action diplomatique. On veut bien reconnaître que les agents régulièrement commissionnés ne suffisent pas à ce qu’exige la sûreté de l’Etat. On s’en prend au million du ministère de l'intérieur, et ceux qui s’offusquent de ce crédit contribuent à répandre l’opinion exagérée — je choisis un mot doux — que sur ce million le ministre de l’intérieur en tretient une armée d’agents, achète la conscience d’une fouie immense de journalistes, sans compter qu’on ajoute volontiers qu’il mène une vie de Sardanapale et se fait cent mille francs de rentes... Ignore-t-on ou fait-on semblant d’ignorer que la comptabilité des fonds secrets peut toujours être examinée par le président de la République ? Ignore-t-on ou fait-on semblant d’i gnorer que les préfets et sous-préfets, quand ils reçoivent une visite offi cielle, le président, un ministre, un souverain ou un grand personnage, seraient ruinés par les frais de la ré ception, si on ne leur venait pas en aide, ce qui est très démocratique, car, sans cette aide, les fonctions ne seraient accessibles qu’aux riches ? Ignore-t-on, enfin, ou feint-on d’i gnorer que les trois quarts des fonds passent à récompenser des services qui n’ont rien de politique, rien de mystérieux ? Quand toutes ces obligations sont remplies, ce qui reste à la disposi tion du ministre est une misère. Sous l’Empire même, où il y avait des fonds plus considérables, des budgets plus larges, quand on subventionnait les journaux, c’était sur la liste civile et la cassette de l'empereur. En vérité, est-il nécessaire d’insister pour faire remarquer ce qu’il y a de chimérique dans cette conception du ministère de l’intérieur faisant vivre des tas de journaux, idée que je m’étonne de trouver répandue par des journalis tes?... Ils ignorent donc que, pour un journal qui va bien, deux ou trois mille francs par mois seraient simple ment une gêne, et que, pour un jour nal qui ne va pas, il en faudrait dix mille, au bas mot... Admettez que la presse, comme le Sénat de Rome aux yeux de Jugurtha, soit à acheter, ce qui n’est pas bien aimable; mais sa chez au moins ce qu’il en coûterait et reconnaissez que la caisse des fonds...