Extrait du journal

grandeur de l’œuvre accomplie n’é chappait pas à ceux qui l’ont conçue et exécutée. On pouvait, au contraire, se demander si le peuple de Paris en mesurerait la portée, s’en rendrait un compte exact et serait suffisamment pris par elle pour ne voir qu’elle, en ce jour de fête. Et Paris a répondu par sa conduite. La journée a été populaire. Des consignes sans rigueur et intelligen tes réglaient la marche de la foule, sans l’empêcher d’aller partout où il y avait quelque intérêt pour elle. L’Exposition a été visitée par un nombre immense de personnes : et celles qui n’entraient pas jouissaient du spectacle des abords, richement décorés. La fête vénitienne animant la Seine, les feux d’artifice, la tour Eiffel embrasée, divisaient la popu lation, satisfaisant sa curiosité. Au son des orchestres, on dansait un peu partout. Et partout, en se mêlant à la foule, on entendait de sages et gais propos. Si nous n’étions pas trop ha bitués à mêler à l’idée de la religion une idée de tristesse, je dirais pres que qu’il y avait quelque chose de religieux dans cette gaieté. Le génie, le travail humains, après tout, peu vent bien avoir leurs temples et qui sait si ce fut jamais autre chose qu’il fut donné à l’homme d’adorer ? En tout cas, si on donne au mot re ligion son sens étymologique, si on y voit « ce qui relie » les hommes entre eux, le mot est de mise ici. Pen dant une journée au moins, Paris n’a eu qu’une pensée, qu’une volonté : la pensée de la grandeur du génie hu main dans toutes ses applications, et la volonté de l’honorer, de ne rien faire qui put nuire à son expansion. Cette pensée et cette volonté, qui pa raissent d’abord avoir quelque chose d’hostile et d’opposé à la politique, sont cependant, en quelque façon, une politique. Rien de plus conserva teur, au beau et juste sens du mot, que cette idée que la grandeur, la force, la sûreté d’un pays sont dans la grandeur de son génie, la force de son travail, la sûreté donnée à ce travail même. J’estime qu’il est juste de dire que c’est la République qui a fait l’Expo sition, si réussie : en dehors des par tis qui nous divisent, le gouvernement républicain y a travaillé avec une in déniable ardeur. La France ne l’ignore pas et sa reconnaissance ne s’égarera pas. Mais le moins qu’il faille accor der, en tout cas, c’est que la Républi que a promis de faire l’Exposition et que rien n’est venu d’elle qui l’ait troublée. La plus excessive mauvaise foi ne peut aller contre cette vérité. Sa constatation déjà suffit à nous donner un bon conseil, à nous dégoû ter des aventures et des aventuriers, et même des esprits honnêtes, mais peu réfléchis, qui ne veulent pas lais ser aux progrès de la politique pure le temps, pour ainsi dire, de prendre l’alignement sur les autres progrès dont le pays ne peut pas se passer et que la plus idéale des Constitutions, fût-elle révisée trente-six fois, ne saurait remplacer. Ce que je dis ici, c’est le peuple de Paris lui-même qui me le dicte par sa tenue de lundi. Toute la ville a été sur pied, s’est trouvée en contact avec la police, la troupe, a vu défiler les membres du gouvernement, a eu...