Extrait du journal
Je reviens d’Orléans fort joyeux ; j en leviens aussi, (il faut que les voyages, voire les plus courts, ajoutent à notre instruction) plus convaincu de la sottise de notre gouvernement. Je dis sottise par un reste inexplicable d’aménité. Quiconque, parmi les quarante mille témoins de ces fêtes, a constaté la cordiale union qui manifestement, ré gnait sur les cœurs, doit rester stupide devant le geste du gouvernement qui en tendait la briser. Si l’union fait la force, M. Clemenceau, — en dépit de quelques déclarations patriotiques, — ne travaille guère à nous fortifier. Et c est absurde. Ce pays-ci est des plus gouvernables — et par le plus noble sentiment. Il fait semblant — étant d’esprit vif — d être indiscipliné et un peu querelleur. Au fond, il n’en est pas qui sache si facile ment remiser ses querelles et se ruer a l’union. Ce sont des trêves : il les adore. Il se battrait pour cesser de le faire a l’ombre des drapeaux claquant au vent et des bannières se détachant sur un beau ciel bleu. Les autres peuples met tent, à célébrer leurs souvenirs patrio tiques, plus de solennité : j’ai vu des îêtes à Rome, à Londres, à Berne, a New-York : c’était religieux et presque rituel. Je cherchais, cependant, l’élan de nos foules, ces bonnes foules françaises qui souffrent tout, les longues attentes, les terribles remous des cohues, les ga lopades des gardes républicains, nos bonnes foules qui blaguent leur fatigue et bravent, au besoin, tous les éléments pour acclamer, après des heures de joyeuse patience, des baïonnettes qui scintillent. Une camaraderie qui n’est pas toujours très talons rouges fond cette foule et la grise : elle s’écrase tou jours et plus elle s’écrase, plus elle rit . parce qu’ « on est des frères » — cer tains jours. A Orléans, l’union est traditionnelle en ces premiers jours de mai *. chacun travaille à faire, tous les ans, plus belle la fête de Jeanne. Seule, la Terreur de Robespierre avait interrompu les fêtes : où sont ces beaux jours, s’écrierait un jacobin : la Terreurette de M. Clemen ceau ne peut même plus les troubler. On sait les faits. J’ai dit ici. il y a deux ans, ce qu’était traditionnellement la fête : la fusion en un cortège — unique, malheureusement, dans notre pays di visé — des magistrats en toge pourpre, des fonctionnaires brodés ou non, de la municipalité Orléanaise, des corpo rations de la ville, des clergés des pa roisses, des prélats accourus à la fête, des soldats, enfin, depuis le comman dant de corps d’armée jusqu’au plus modeste troupier. Ce qui plaisait dans ce cortège que j’ai vu autrefois, c’est qu’il était sans raideur officielle. C’était une promenade très pittoresque des drapeaux de nos régiments, des oriflam mes des corporations, des bannières des paroisses, groupés autour de l’éten dard sacré de Jeanne. On était joyeux, très à l’aise : j’y ai vu des députés fort radicaux, la poitrine bandée du ruban tricolore, faire assaut de gracieux sa ints avec des prélats qu’on disait fort intransigeants : peut-être, après tout, ceux-ci eussent-ils dit, comme l’Evêque du Roi au député Bourdier : « Nous ne sommes séparés que par vos opinions. Vous voyez que ce n’est pas grand’chose ». Le maire d’Orléans, qui fut à plu sieurs reprises radical et peut-être francmaçon, n’hésitait jamais, le 7 mai au soir, à confier à l’Evêque, la bannière 'de l’héroïne au seuil de la cathédrale, et c’était le lendemain, beaucoup moins un cortège officiel, qu’une cordiale mani festation, autour de la célèbre bannière ramenée à l’Hôtel de Ville. Mais voici le fait nouveau : Jeanne vient d’être béatifiée. Rome la met sur les autels : tout gouvernement se ré jouirait de voir proclamer instrument de Dieu, une enfant qui, l’épée à la main, bouta, hors du pays, l’ennemi qui l’occupait. Le nôtre — s’il obéissait à ses principes — pourrait, tout au moins ignorer l’événement. M. Clemenceau, je vous vois ici traître à votre politique. Vous avez les yeux fixés sur Rome : Rome existe donc à vos yeux ? Quoi, à te point qu’elle vous accule aux bêtises, .vous, dont trente ans, on vanta l’esprit. Bref, on décida, place Beauvau, de rompre le cortège pour faire pièce à l’Eglise, à Rome, à Sarto. Et voilà que jamais fête ne fut plus belle. La mauvai se humeur de nos étranges hommes d’E tat a, soudain, tourné à la glorification de Jeanne. Un défilé des troupes devant I l statue a ému les cœurs et groupé la foule en un grand élan. Mais je n’ai pas .vu — au contraire—la foule moins com pacte, les cœurs moins en joie et l’élan moins vif lorsque, deux heures après, le maire d’Orléans, les métiers, les asso rtions, le clergé, cinquante évêques, un cardinal saluaient, au cours de leur triomphale promenade, l’héroïne deux fois honorée. Le défilé des troupes a été très beau : il était insolite. Sous le ciel éclatant nous avons acclamé (j’acclame encore les dra peaux, pardonnez-moi, ô Gustave Hervé, mon confrère) les drapeaux, les soldats et particulièrement nos réservistes. Je ne tombe pas ici, qu’on le croie, dans le cliché banal : ils venaient de Cercotte, poussiéreux, la sueur au front, en te nue de marche et avec une allure très martiale : c’était bien la Nation qui, re présentée par eux, s’inclinait devant l’héroïne. L’idée du commandant de corps se trouva excellente : aucun gé néral ne passait la revue : seule, Jean ne sur son cheval, l’épée à la main, commandait : le général Ferré lui pré sentait les troupes. Il y eut un beau mo...
À propos
Face à une gauche qui ne parvient pas à contenir ses partisans, Léon Gambetta entend rassembler une majorité de républicains autour d’un nouveau quotidien, organe de l’Union Républicaine : La République française. Grand journal à 15 centimes, il consacre une part importante de son contenu aux nouvelles de province et joue un rôle considérable dans la victoire des républicains contre les conservateurs. La mort de Gambetta provoque de facto un infléchissement de la publication qui s’éteint lentement jusqu’en 1931.
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