Extrait du journal

J’ai profité de mon passage dans le Morvan pour voir de près les habitants de ce pays si peu exploré et cependant si digne d’exciter l’admiration des touristes. 11 a gardé sa sau vagerie. En vain a-t-on multiplié les routes, les chemins de fer, le Morvandiau a con servé son aspect farouche, son humeur rude, son goût de la solitude 11 est pauvre, il ga gne tout juste de quoi manger, ou plutôt de quoi remplacer ses bœufs quand ils sont vieux et malades; car, pour sa nourriture, il n’est guère exigeant ; des crêpes de sarrasin, du pain noir, des pommes de terre et des navets cuits sous la cendre; le dimanche un morceau de lard ; comme boisson, l’eau des torrents et des sources. 11 n’en demande pas davantage pour être heureux... ou à peu près. Eu tous cas, il ne sc plaint pas de son sort. Je suis entré, ce matin, dans une misérable hutte de charbonnier, située au bord de la Cure, au milieu d’un site adorable. Le toit de I de chaume — un chaume rongé, vermoulu, les * couvert de mousse — s’abaissait presque au ras du sol. Tout autour, d’épais gazons, des bouquets d’arbres d’uu vert profond et som bre, une végétation extraordinairement touf fue qui ne laisse pas un coin de rocher à découvert. Enfin, au fond de la vallée, le ruisseau rapide et capricieux, dont le frais gazouillis vous berce l’oreille. Florian eût choisi ce lieu pour y placer ses idylles. MarieAntoinette eût aimé cette chaumière dont elle eût fait une bergerie. Et de loin, en effet, le rustique logis n’éveille que des idées de paix villageoise et de bonheur domestique. Lorsqu’on y pénètre, l’impression change. C'est la pauvreté, et la pauvreté sordide. Un grabat couvert de haillons est jeté dans l’angle le plus obscur de l’unique pièce ; la famille s’y étend pèle mêle sans distinction d’âge ni de sexe. Devant l’âtrc enfumé, une longue table à l’extrémité de laquelle sont creusés des trous qui servent d’écuelles où l'on verse la soupe chaque matin et que l’on nettoie tant bien que mal, mais d’où s'exha lent de pénibles senteurs de graisse rance. Point de vaisselle, une chaise dépaillée, un mauvais poêlon, deux ou trois jattes de grès, et c’est tout. Au moment où nous sommes entrés, la femme du logis endormait sou enfaut, en rapiéçant les culottes de son homme. Le ber ceau morvandiau a gardé sa forme antique, il ressemble à une sorte d’auge grossière nient taillée, dans laquelle le nourrisson est ligotlé comme une momie. En nous voyant, la paysanne se leva ; nous lui demandâmes un renseignement sur la route à suivre ; elle nous fixa longtemps sans répondre et nous montra du doigt son mari qui travaillait dans la clairière voisine, il nous avait luimême aperçu et venait gravement à notre rencontre. — Eh bien ! lui demandons-nous, êtes-vous content des récoltes?......