Extrait du journal
Ce nom est charmant. Il évoque de gracieux visages de jeunes filles, des visions de vols de moineaux parisiens, des chiffons, des chansons, des souri res, de la gaiete même au milieu de nos tristesses. Paris adore ses midinettes. Or, voici qu'il vient d'apprendre que la midinet te n'avait pas seulement des cheveux fous pour les friser, un corps gracile pour porter la mode, des pieds d'en fant pour chausser des coquilles de noix, un petit coeur de marraine pour les poilus ; elle a aussi un estomac, elle mange, la malheureuse ; elle mange pour vivre, et elle travaille pour se nourrir. Le plus souvent même, elle subvient aux besoins d’une mère, d’un vieux père, d'une famille- La midinet te est, comme nous tous, la proie de la réalité. Elle vit de peu, sans doute. Mais ce peu est hors de prix. Elle a senti enfin tous les tourments de la vie chère Elle a réclamé une augmentation de salaires. Et elle a déclaré la grève. Une grève de midinettes ! Ces mots jurent, ainsi accouplés. I^a grève est, en effet, quelque chose de rude, de bru tal. La midinette est le plus souvent presqu'une fillette-.. Je ne peux cacher la fâcheuse im pression que m'a causée tout à l’heure, sur le boulevard, la rencontre d'une bande de frêles midinettes, bras des sus bras dessous, auréolées de che veux blonds ensoleillés, les yeux rieurs, chantant avec leurs bouches de ce rise ce refrain grossier : Et l'on s'en f...-. On fra la s’maine anglaise Et l’on s’en f On aura nos vingt sous. Je sais bien. Il faut écarter cette vi sion et penser à la modeste ouvrière qui s'étiole sur les étoffes payées des prix fous par les clientes riches, et rapporte un maigre salaire dans le ménage, où ne paraît plus ni lait, ni beurre, ni viande. Les hommes sont à la guerre. Combien de femmes tirent l’aiguille tout le jour pour alimenter le foyer ? Quelle pitié s'il y a des vieil lards ou des enfants ! Enfin, est-ce trop de réclamer vingt sous pour parer à l’extraordinaire ac croissement du prix de la vie ? On sait que plusieurs maisons ont, depuis longtemps, sans bruit, augmen té les salaires. On y pratique d'ailleurs des coutumes paternelles de prévoyan ce, de secours, sous cent formes variées— Remarquons qu'il n’y a que six ou sept mille grévistes ; il ne faudrait pas, en effet, qu'on croie que cette industrie parisienne est aux mains de patrons farouches. — Dans quelques maisons, on se déclare prêt a étudier une réfor me de salaires. Il en est enfin qui souf frent particulièrement de l’état de guer re et produisent des chiffres attestant qu elles sont au bout des sacrifices pos sibles- La question n'est pas si simple. Il semble bien cependant qu’elle n'est pas insoluble. Lu Paix ne peut tarder à régner de nouveau dans la Rue qui porte son nom. Nous espérons ici qu'il sera possible aux couturiers parisiens d'aider au budget des intéressantes midinettesMais, il est un point sur lequel nous faisons d'expresses réserves. Qu'est-ce que cette semaine anglaise qu’on vou drait instituer dans les ateliers de cou ture ? Nous ne savons pas bien si cela peut convenir dans ce métier- Autre fois, le samedi, on travaillait plus tard que les autres jours, pour livrer le len demain dimanche les commandes en retard. Ce fut déjà bien de supprimer les veilles. N est-ce pas trop que de de mander à cesser le travail le samedi à midi ? Nous posons la question. Et si les grévistes ont à cela une réponse accep table, nous ajoutons que le moment nous semble mal choisi pour réclamer une diminution de travail; d’abord par ce que nous sommes en .guerre et que le travail, dans tous les métiers, dans toutes les branches, est une chose sa crée, un devoir pour tous. Moins de travail chez les couturiers, cela veut dire plus d’ouvrières; or, il y a d’autres métiers plus urgents où ‘l’on n’aura jamais assez d’ouvrières. Est-ce qu’elles demandent la semaine anglaise, les femmes qui tournent des obus ? La réclamation portant sur le salaire doit être juste. Elle est inspirée par le souci de la vie, de plus en plus difficile à Paris. Mais la réclamation portant sur la réduction des heures de travail, la revendication de la semaine anglai se ! Cela sent l’inspiration de la Bourse du Travail. Ce sont les professionnels du désordre social, les monteurs offi ciels de grèves qui ont soufflé cette idée aux innocentes midinettes. La semaine anglaise est-elle imprati cable ? Nous n en savons rien, encore une fois. Mais nous savons que c’est la dernière invention des bousingots de la Bourse du Travail, qui n’ont, eux d’autre pensée que de créer dans l’in...
À propos
Face à une gauche qui ne parvient pas à contenir ses partisans, Léon Gambetta entend rassembler une majorité de républicains autour d’un nouveau quotidien, organe de l’Union Républicaine : La République française. Grand journal à 15 centimes, il consacre une part importante de son contenu aux nouvelles de province et joue un rôle considérable dans la victoire des républicains contre les conservateurs. La mort de Gambetta provoque de facto un infléchissement de la publication qui s’éteint lentement jusqu’en 1931.
En savoir plus Données de classification - gourko
- de bethmann-hollweg
- wilson
- durazzo
- kovel
- garcia prieto
- allemagne
- gorizia
- amérique
- chambre
- paris
- bulgarie
- russie
- serbie
- hindenburg
- norvège
- bourse du travail
- l'assemblée
- sénat
- parlement
- parti républicain
- artois
- parti démocrate