Extrait du journal

Le silence, un silence morne, stupéfiant, règne à bord comme à terre. Les équipages dorment. Les matelots, même les matelots palligure à nez d’aigle, à têtes de forçons, les Maltais noueux et trapus, les Suédois, sorte de Milons de Crotone aux yeux bleus et rêveurs, les nègres vigoureux de Saint-Domingue, les Anglais à taille de gladiateur, sont étendus sur le pont, à l'ombre des haubans, et ne remuent pas plus que des cadavres. Les mousses ferment les yeux et se laissent parfois tomber sur les paquets de voiles, comme frappés d’insolation. Les douaniers, adossés contre leurs guérites , ont des attitudes d’hommes foudroyés. La chaleur est de plus en plus intense et semble descendre comme une chape de plomb, poussant devant elle des myriades de mouches qui bourdonnent avec rage. La lassitude est extrême et le chemin, d’ordinaire si vivant, si fréquenté, qui conduit du quai à la petite rue païenne, libertine, cachée dans le voisinage, n’est plus à cette heure qu’une voie déserte, ignorée....