Extrait du journal

réunion solennelle de rentrée. Là France et l'Europe et le cher Dreyfus ont les yeux sur moi. "Ah ! mais ça ne va pas traîner. Ces royalistes de malheur vont voir de quel bois je me chauffe 1 . — « Manuel Baudouin.— interrompt l'autre voix, celle de la prudence — tu feras bien de tourner sept fois ta langue habile dans ta très juridique-salive, avant de donner le signal de ces pour suites-là. Car tu n'ignores pas le cocon de mensonges et de faux dans lequel .repose le -traître circoncis auquel tu as vendu ton Code, dans l'exercice de tes redoutables fonctions. Il suffit de tirer sur un fil pour démaillottér tout le ver. Fais attention à cela, procureur. Au mo ment où tu te lèveras, au milieu d'un silence solennel, pour prononcer l'éloge de Manau, rappelle-toi les paroles de Manau dan3 son réquisitoire de 18Ô9 : Vous ne "pouvez qu'ouvrir la porte à la revision. Vous n'avez pas qualité pour la prononcer définitivement. Vous pouvez faire juger de nouveau Dreyfus, il ne vous est pas permis de le réhabiliter. Il sait, du reste, qu'il n'a pas le droit de vous adresser une pareille demande. . «—Voyre songe le procureur défrisé, — je serais peut-être plus sage de me taire. Après tout, quand ces acharnés de l'Action Française auront obtenu ce qu'ils désirent, la cassation de la cassa tion, je retournerai une seconde fois ma toge et je requerrai contre le Traître. » Dans.le cas où, de ces deux voix, celle de la prudence l'emporterait, c'est alors que la suprême chance de salut pour la Cour Suprême serait dans ce louable ré calcitrant auquel je faisais appel tout à l'heure. Quarante-neuf juges défilant sous les verges, c'est un chiffre. Il suffit qu'un d'entre ceux-là ait conservé un frisson de virilité, une fibre d'orgueil, une étincelle de patriotisme, n'ait pas perdu dans la procédure et le contact de Ballot-Beaupré ou de Baudouin tout ce qui constitue la faculté de se redresser, la noblesse humaine, il suffit d'un de ces rebelles -à la pourriture en corps et en silence pour que le pénible échafaudage de ces derniers jours s'effondre en un instant. Sinon, c'est la fin d'une institution, en attendant la fin du régime. LÉON DAUDET....