Extrait du journal

Je vous écris par une fraîche matinée On va de très bonneheure aux plages, cette année, C'est la saison des bains... Dès la fin de l’hiver. J’ai déjà déniché mon « petit trou pas cher ». Mon logis n’est pas grand, mais il est confortable, Discret... Ma garçonnière est un trou dans le [sable... Quelques planches, deux sacs, composent le [plafond, Et d’ici, je peux voir, sur la toile de fond, Au rose de l’aurore, au bleu du clair de lune, Onduler la mollesse exquise de la dune. Toits rouges : des hôtels, des villas. . Un tennis, Sans appels de raquettes et sans rires de miss. L’Yser... son estuaire .. un port en miniature... Et plus loin, des maisons qui n’ont plus de toi ture, A côté d’un castel, n’érigeant que deux tours, L’église, bombardée, a son clocher à jours ! Mais je suis si distrait que je ne songeais guère A vous dire, mon cher, que je suis à la guerre, Excusez-moi ! Depuis le seuil blanc de janvier, Nous avons occupé ces dunes, sans plier. On a dit : > Tenez bon ! » Et dès lors nul ne bouge, Je suis dans l’escadron du capitaine rouge, Un grand spahi normand devenu cuirassier Qui regrette souvent son burnous d’officier, Et l’Ame du Maroc, voluptueuse et chaude, Où l’haleine des nuits est un baiser qui rôde... — Ce que l’on fait dans la tranchée t Au saut [du lit On s’étire en bâillant, on rêve, on fume, on lit. Mon calumet de paix, c’est la pipe de guerre, Et je fais des ronds bleus, musard comme [naguère. Des mouettes, là-bas, tachent le ciei marin... Malgré tout, si le canon tonne, on veille au grain, Et quand le Boche attaque, on a sa baïonnette Pour lui servir un déjeuner à la fourchette ! On est ravitaillé mieux qu’au palais d’un roi : A huit heures, café ; vers midi, repas froid, Et dessert imprévu, parfois, lorsque nous t >mbe Du bord d’un aéro, toute chaude, une bombe, Ici tout est guerrier, mon ami, songez-y. Et la nuit, si l’on dort, c’est en chien de fusil. Mais je dois vous quitter... Le brigadier m'ap pelle... « Présent ! > La faction, voyez, se renouvelle, Et devenu guetteur, moi, l’ancien troubadour, Je vais monter la garde aux créneaux de latour ! Jean de la ROCCA....