Extrait du journal
Deux courants d’opinion se sont fait jour depuis que le projet de loi sur la séparation a été déposé sur le bureau du Sénat. Les uns demandent que le texte tel qu’il vient de la Chambre soit adopté sans modification par la haute Assemblée. Les autres estiment, au contraire, que le Sénat doit user de son droit de contrôle et retoucher les poinfs qui lui paraîtraient susceptibles d’être amendés. M. Clémenceau est de ce nombre. C’est une prétention tout à fait exorbi tante de vouloir contraindre une Chambre à enregistrer sans mot dire la décision d’une autre Assemblée. Si la constitution républi caine a prévu l’existence de deux Chambres auxquelles elle a conféré les mêmes droits, — sauf en matière de finances, — c’est sans doute pour que chacune d’elles puisse exami ner et discuter en pleine indépendance et toute liberté les propositions qui lui sont soumises. On ne peut pas maintenant ériger en principe que dans les questions les plus graves, tantôt l’une, tantôt l’autre, devra renoncer à ses prérogatives. Dans cette affaire de la séparation, on dirait vraiment que Catilina est à nos por tes, et que nous n’avons pas le temps de délibérer. Il faut sans délai et presque sans débat entériner le projet. La commission a pris le soin de le déclarer dans une solen nelle motion. Et quand on pense que le problème de la séparation est posé depuis Philippe le Bel !... — c’est du moins M. Briand qui nous l’apprend dans le préam bule historique de son rapport — il n’est {)as défendu d’admettre que les intérêts de a République ne seraient pas menacés si nous différions de quelques jours la consé cration de cette grosse réforme. Ah ! certes, si, la loi votée, nous étions sûrs d’être débarrassés d’un fastidieux et ir ritant sujet, si nous devions avoir la paix, comme on nous le promet, il n’y aurait point à hésiter. Mais demain, la situation ne sera guère modifiée. Pas plus séparés qu’auparavant, nous nous chamaillerons avec les Associations cultuelles. Comment ne nous heurterions-nous pas aux mêmes intransi geances et aux mêmes passions ? Voyez plu tôt ce qui s’est passé le dernier jour à la Chambre à propos de l’amnistie. A peine le gouvernement eut-il parlé d’union, de con corde et d’apaisement, qu’on vit des gens bondir sur leurs sièges, se montrer le poing et sc prodiguer tant d’invectives que M. Rouvier prit le sage parti, pour calmer ces effervescences, de rentrer dans sa serviette le projet de loi qu’il en avait extrait, et de lire le décret de clôture. Ce qu’on appelle la séparation nous» ap portera à peu près la même concorde. El cependant, pour les esprits non prévenus, le projet est sans nul doute conçu dans un sens libéral. Mais peu importe, nous ne pouvons plus nous entendre sur la signification de ce mot. Car les dispositions qui me paraissent le moins critiquables sont celles précisément auxquelles je vois reprocher des tendances injustes et arbitraires. Tel, cet article 31, qui rend justiciables de la police correction nelle au lieu de leur réserver l'impunité du jury, les ministres du culte qui, dans les lieux où ils exercent leurs fonctions, com mettent les délits d’outrages et de diffama tion. Comme si les chaires d’église avaient été élevées pour traiter d’autres questions que les questions religieuses ! De même aussi l’article 35, qui déclare les ministres du culte inéligibles pendant huit ans au conseil municipal de leur com mune et qui suscite tant de piotestations. Ici, j’espère bien que le Sénat ira plus loin que la Chambre et rendra les fonctions de ministre du culte incompatibles avec celles de conseiller municipal, (le maire et toutes fonctions électives. Je n’admettrai pas plus demain qu’aujourd’hui que ces prêtres et pasteurs se mêlent à nos luttes électorales et à l’administration des affaires publiques. Il y va, d’ailleurs, de leur propre intérêt. Nous n’en serions peut-être pas où nous en sommes si tous les ecclésiastiques avaient compris leurs devoirs et s’étaient exclusive ment consacrés à leur mission religieuse. On me dira que cette théorie est inconci liable avec le régime de la séparation. Per mettez ! Nous n’arriverons, d’après moi, à la vraie séparation que le jour où chacun se cantonnera dans son domaine : le maire à la mairie, le caré à l’église. Mais celle dont je parle, nous pouvons laisser à nos arrièreneveux le soin de la réaliser : nous sommes, de nos jours, incapables de la faire....
À propos
Fondé en 1878, L’Avenir de la Mayenne est un quotidien régional publié à Laval, puis à Rennes. Il change de nom en 1932 pour devenir Le Républicain de la Mayenne avant de disparaître en 1942.
En savoir plus Données de classification - aucouturier
- desprez
- rouvier
- guillaume ii
- gabory
- carré
- milon
- bertrand
- raffray
- leclerc
- france
- laval
- allemagne
- mayenne
- russie
- paris
- japon
- angleterre
- tour
- dumas
- sénat
- union
- union postale
- dana
- fédération des travailleurs
- etat français
- lacroix
- havas
- agence havas
- institut