Extrait du journal
quel on avait cru pouvoir compter. Essayez-en au jourd’hui ! Invitez quelques personnes à dîner, et au moment du rôt servez-leur seulement quelques tranches d’ime histoire farcie d’intérêt, vous verrez les convives, après de sourds murmures, protester hautement, se lever, prendre leur canne et leur cha peau et sortir en s’écriant : — C’est indécent ! on ne mystifie pas les gens comme cela, il faut que notre amphitrion soit toqué! Et vous voulez que dans une société aussi vorace, aussi livrée à la frénésie des jo uissances matérielles, aussi portée sur sa bouche, disons le mot, le peuple sache, dans les temps de disette, que son devoir est de s’abstenir et de se permettre tout au plus un cure-dents ! Tous vos calculs, tous vos palliatifs économiques me font hausser les épaules. Il s’agit bien d’augmenter les salaires 1 Rendez à la société, au peuple surtout, l’honneur, la dignité, le désintéressement, les quatre vertus théologales, cette haute moralité en un mot qui ilorissait sous l’ancienne monarchie, du temps par exemple de M”' de Pompadour et du cardinal Dubois ; supprimez l’agiotage, cette plaie de notre siècle, inconnue de nos bons aïeux les contemporains de Law, et vous verrez la résignation rentrer dans les cœurs. Or, du moment où l’on s’est résigné à ne pas manger, qu’importe la cherté des subsistances? Voilà le problème résolu. Je propose ce remède : occuper les esprits des classes laborieuses de grandes pensées. On pourrait ouvrir cet hiver un établissement spécial pour les gens qui n’auraient pas de quoi souper. Cet établis sement n’aurait pas besoin de cuisine. Au milieu d’une immense ï-alia s'élèverait, non pas un buffet à l’américaine ou à l’anglaise, mais une tribune. A l’heure où le commun des liommes qui ont rompu avec toutes les traditions du devoir et de la vertu ont l’habitude de dîner, je monterais à cette tribune et je raconterais à mon auditoire les hauts-faits des chevaliers de Malte; je les entretiendrais ensuite de la nécessité de bannir le Turc de l’Europe et de le refouler sur la côte d’Asie. Certes l’exaltation produite par mes discours et mes récits chevaleresques ne laisserait pas aux es tomacs la liberté de songer à autre chose. Ma parole serait véritablement la parole de vie et ma tribune deviendrait un véritable buffet à l’américaine. Economistes, s’écrie le père Laurentie en finis sant, osez maintenant présenter vos utopies et vos...
À propos
Fondé par Charles Philipon en 1832, Le Charivari fut le premier quotidien satirique illustré au monde. Régulièrement poursuivi pour sa critique de Louis-Philippe, le journal disparaît néanmoins bien plus tard, en 1937.
En savoir plus Données de classification - bossuet
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