Extrait du journal
Mademoiselle, Le bruit de votre aventure est arrivé jusqu’au fond du cais son où j’étais enfermé ; et je ne saurais vous dire de quelle profonde estime i! m’a pénétré pour vous. Cette estime a été d’autant plus vive chez moi, qu’elle n’était point partagée par mes camarades, les autres boulets de l’armée, espèces de butors, aux formes grossières, aux mœurs farouches, qui ne l èvent que massacre, et qui, dans leur fureur aveugle,vous tueraient un prince royal sans plus de façon qu’un cheval. Eh bien ! les manans qu’ils sont, ils ont osé se moquer de vous ; ils vous ont traitée de pimbêche, de prude, de grande innocente, comme si l’innocence n’était, pas la première qua lité de votre sexe ; iis ont prétendu que vous apparteniez sans doute à la police, comme si votre naissance même n’é tait pas une preuve du contraire! Que vous dirai-je enfin , et que peut-on attendre de boulets sans aucune espèce d’é ducation, de véritables machines , qui vont comme on les pousse, et qui ne sont bonnes qu’à se casser la tète contre les murailles d’une ville ! Je n’ai pas besoin de vous dire avec quelle chaleur j’ai pris votre défense. Accordez-moi donc la faveur d’entrer en relations suivies avec vous. Peut-être, dans la retraite où vous êtes forcée de vous tenir jusqu’à nouvel ordre, ne vous serat-il point désagréable de recevoir, de temps en temps, des nouvelles de la guerre, de la part d’un boulet que sa position distinguée près de la personne du prince met à même de voir des choses extrêmement curieuses. C’est dans cet es poir que je crois devoir vous donner sur mon compte tous les renseignemens désirables. Je suis jeune, Mademoiselle, et n’ai jamais servi. Je n’ai donc jusqu’à présent à me reprocher la mort de personne, et j’espère bien conserver toujours cette vive horreur du meurtre, qui m’a valu l’honneur de faire partie des bagages de S. A. Tu Je ne suis point néerlandais, comme les jour naux bien pensans se sont plu à le dire ; je suis fi ançais, quoi que de calibre hollandais. Je vous dis cela en confidence , bien certain que vous êtes trop discrète pour trahir cet im portant secret. Mon Dieu, oui, je suis français, ce qui paraît assez extraordinaire, les boulets de cette nation n’ayant pas généralement cette humeur pacifique qui me caractérise. Mais c’est qu’aussi je ne suis point un de ces boulets de paco tille comme j’en vois tant ; j’ai été fondu tout exprès pour l’usage particulier du prince; on m’a fait creux, léger, petit, mignon, délicat, portatif enfin, pour plus de commodité....
À propos
Fondé par Charles Philipon en 1832, Le Charivari fut le premier quotidien satirique illustré au monde. Régulièrement poursuivi pour sa critique de Louis-Philippe, le journal disparaît néanmoins bien plus tard, en 1937.
En savoir plus Données de classification - cil
- etranger
- a. tu
- m. i.
- aubert