Extrait du journal

Il y a une vingtaine d’années que Tom Poucêapparut pour la première fois aux regards émerveillés de la population parisienne. C’était au moment où M. de La martine prononçait ce mot terrible : La France s’ennuie! Tom Pouce avait donc bien pris son temps et ce fut sans doute pour se désennuyer que tout Paris, puisque c’est le mot consacré, alla rendre visite à cet atïreux petit bonhomme. On voyait là un cornac qui faisait la démonstration du phénomène, et il est certain qu’une partie du public s’attendait à une histoire tant soit peu fantastique, à un conte de fées américain. Il ne tenait qu’à lui de ra conter comme quoi Tom Pouce avait été trouvé un beau matin sous un chou, comment un paysan qui était allé cueillir le chou pour faire la soupe, ayant roulé par mégarde le nain dans les feuilles, avait jeté le tout dans la marmite, comment enfin la femme du paysan, qui était fée, furieuse de rencontrer cet objet étranger dans son assiette, l’avait condamné à ne jamais s’élever de plus de cinquante centimètres au dessous du niveau de la mer. Au lieu de cela le cornac, sérieux comme Wash ington lorsqu’il proclama l’indépendance des EtatsUnis, parlait de la brillante éducation reçue par Tom Pouce, de ses opinions politiques et religieuses et de son goût pour les sardines marinées, révélation dont le phénomène aftirmait l’exactitude par de petits glapisseinens. Pendant plusieurs mois le public suivit cette exhibi tion avec enthousiasme ; on alla même jusqu’à prêter des bonnes fortunes à Tom-Pouce, ni plus ni moins que s’il eût été Léotard, et l’on se serait cm non à Paris, mais à la cour de Shahabaham, où le bon ton était de passer tous les jours quelques heures en con templation devant un bocal de poissons rouges. Après un intervalle de vingt ans, Tom Pouce est de retour dans nos murs, et il est juste de reconnaître que sa popularité a beaucoup diminué. La sensation est moindre qu'autrefois, et l’on met peu d’empressement à savoir s’il aime toujours les sardines à l’huile, et quelle est sa manière de voir sur la guerre civile qui désole les Etats-Unis. Tom Pouce est-il unioniste ou séparatiste? Je suis peut-être le seul en France à me le demander. Quelles sont les causes de ce refroidissement? C’est ici que le moraliste et le philosophe doivent répondre. La question est épineuse et la tâche est rude. Essayons pourtant. Il y a d’abord la création du Jardin d’acclimatation et l’accroissement considérable de son antique rival le Jardin des Plantes. Ces deux établissement, voués à l’histoire naturelle, ont, dans ces dernières années, sa turé le public de nouveautés, de curiosités et de phé nomènes. Au Jardin d’acclimatation, nous avons tous admiré en frissonnant le gnu, une sorte de bœuf-cheval dont le regard est capable de donner la mort, d’autres disent seulement la jaunisse; le pécari, une espèce de sanglier encore plus malpropre que l’autre, et qui, au dire des naturalistes, est implacable dans ses haines comme un tyran de tragédie ; enfin, une variété de l’autruche, et le leuphophore resplendissant, oiseau incomparable ment mieux habillé que Tom Pouce. Pour lutter contre son rival, le Jardin des Plantes, 1...