Extrait du journal

DU RÉTABLISSEMENT DE LA STATUE DE NAPOLEON SUR LA COLONNE DE LA PLACE VENDÔME. On se dispose à replacer une statue de Napoléon sur la colonne delà pla ce Vendôme. La curiosité publique étant parla ramenée vers le monument tel qu'il est aujourd'hui, faisons-en d'abord l'examen d'après les principes que nous avons posés sur la nature et la destination des arts. Si nous y appliquons cette doctrine fondée sur le beau, le vrai et le moral, que nous dira notre raison ? Quel témoignage sortira de notre conscience ? in terrogeons l'antiquité. Le trophée fut originairement un simple tronc d'arbre, qu'on recouvrait de quelques armes prises sur l'ennemi. Lorsque la civilisation croissante en eut fait un objet d'art, on continua ds le construire en bois, sur le lieu même de la victoire. Les Grecs ne permettaient ni de le transpoiter hors du champ de bataille, ni de l'élever en matériaux durables, et quoiqu'il fût défendu de l'arracher du sol, on s'était fait une loi de ne pas le réparer. Le temps, di't Plutarque, avait bientôt détruit ces signes de discorde et de haine. L'injure du monument disparaissait avec lui, et le pénible souvenir d'un revers n'était plus retracé que par l'histoire. D'ailleurs, ce peuple ar tiste, c'est-à-dire, aussi conséquent qu'ingénieux, se serait mis en contra diction avec lui-même en attachant à perpétuelle demeure les emblèmes de la victoire, quand il représentait presque toujours la victoire avec des ailes. Le conquérant en présence de qui la terre se tut, Alexandre, vain queur de la Perse, vainqueur de l'Inde, ne dressa pas dans sa course triom phante à travers les nations, un seul trophée. Les Romains, essentiellement guerriers, furent long-temps aussi sans insulte!*' au vaincu par un monument de sa défaite ; et Florus, un de leurs historiens , leur fait un mérite de cette modération. Mais la conquête étant devenue la base de leur politique, l'usage du trophée entra dans leurs mœurs et dégénéra bientôt en abus. Les convenances délicates de l'art n'a vaient pas de prise sur un peuple qui lé sentait peu et qui s'en vantait ; el les furent donc sacrifiées : l'intérêt ou la passion l'emporta. L'indice commémoratif de la victoire ne fut plus renfermé dans le champ de bataille ; le signe du triomphe fut porté en triomphe ; on le fixa au sein des villes ; on l'érigea en pierre, en marbre , en bronze. Indifférente à l'humiliation des vaincus , Rome ne songea qu'à étendre et à perpétuer la puissance et le renom de ses armes. Les arcs triomphaux , les colonnes monumentales , dont lesrestes nous étonnent encore, furent des trophées transmis par son ambition et par son orgueil à la postérité. Ces considérations, littéralement vraies pour les anciens-, perdent beaucoup de leur importance chez les modernes: Une rapide et gigan tesque publicité, signalant pêle-mêle les vaincus et les vainqueurs, l'arc ou la colonne de triomphe ne divulgue en son lieu que ce qu'on sait partout, et ne prolonge le souvenir que de ce qu'on ne peut plus ou blier. D'ailleurs, l'alternative des bons et des mauvais succès à la guerre, plus balancée que dans l'antiquité par les combinaisons de la diplo matie , fait que les trophées se partagent, et toute phalange qui fut forte ou heureuse un jour, voulut dresser le sien pour les siècles. Où ne rencontre-t-on pas les nations enchaînées à un piédestal ? Ainsi...