Extrait du journal
Paris 12 JUILLET. DU PROJET DE LOI SUR LES SUCRES. Le projet de loi surfles sucres, adopté hier par la chambre des pairs, a eu, comme noué avons eu déjà l'occasion de le dire, le secret de mécontenter tout le monde. Rien n'égale l'irritation des intérêts, co loniaux et maritimes qui demandaient le dégrèvement pour les sucresdés colonies, si ce n'est l'irritation des intérêts agricoles, qui repous saient, quant àprésent, toute espèce d'impôt pour le sucre indigène. Le gouvernement a usé, selon sa coutume, d'un de ces expédiens, d'un de ces demi-moyens qui assoupissent les querelles sans les ter miner : il a voulu que chaque industrie rivale trouvât une sorte de compensation à ses mécomptes dans les mécomptes d'autrui, et que l'impôt consolât du non dégrèvement comme le non dégrèvement de l'impôt. Nous croyons, pour notre compte, cette tactique à la fois fort peu digne et fort peu efficace. En économie politique, comme en politique, on n'arrivé à rien par ces moyens termes, et si l'on gagne ainsi un peu de temps, on retrouve plus tard les embarras plus grands et les obstacles plus invincibles. En Angleterre, où l'on procède avec netteté et précision , on n'en a pas agi ainsi , sur la question même qui nous occupe. Il y avait eu aussi, sur quelques points du royaume uni, des essais pour acclimater la fabrication du sucre de betterave : la question a été immédiatement portée au parlement, et sans faire des phrases, sans se perdre dans le dédale des enquêtes , le gouvernement et les chambres se sont demandé ce qu'il fallait sacri fier: de l'intérêt agricole ou de l'intérêt colonial,et sans faire une bles sure à l'un, une blessure à l'autre, ils ont décidé qu'il fallait sacrifier l'intérêt agricole, et des mesures ont été prises qui rendent impossible la fabrication indigène. Si, en France, la question se fût ainsi pro duite , dégagée de tous accessoires oiseux , la solution eût été sans doute diamétralement contraire, et peut-être les intérêts lésés en eus sent-ils déjà pris leur parti, et se borneraient-ils à réclamer celte li berté commerciale qui leur paraît, à juste titre, la légitime et suffi sante compensation du coup poijté à leur monopole. Quoi qu'il en soit, voici donc un nouvel impôt qui va peser sur une industrie déjà florissante , il est vrai, mais qui compte à peine quel ques années d'existence. Nous avons vivement combattu cet impôt, non pas comme injuste, mais comme prématuré. C'est toujours à re gret que nous verrons s'étendre le cercle fiscal qui envahit toutes les branches du travail humain, dussent-elles y périr. Nous savons qu'une fois établi, un impôt est bien difficilement secoué, et*, pour preuve, nous ne voudrions que ce fait, qu'après 22 ans de paix, nous payons encore en France le 10e de guerre. Toutefois , nous reconnaissons avec tous les hommes impartiaux qui ont examiné la question, que le sucre est une matière éminemment imposable, et que, tant que l'im pôt du sel subsistera, il ne sera pas permis de demander la suppres sion d'wi autre impôt. Sous ce point de vue , le projet de loi adopté n'a donc à nos yeux que le tort de la précipitation et de l'inopportu nité. Mais, sous un autre rapport, le projet nous paraît beaucoup plus attaquable , et c'est à bon droit qu'il a été si vivement critiqué par les représentons de nos intérêts maritimes. Le dégrèvement du sucre colonial semblait devoir être la conséquence naturelle de l'impôt sur le sucre indigène. Cette mesure était même dans les intérêts bien en tendus du trésor, car le trésor percevant toujours beaucoup plus sur le sucre colonial, il lui convient d'accroître le plus possible le débit de cette nature de produits. Nous ne défendons pas le trésor, qui a de si habiles et de si puis. sans champions; l'intérêt que nous défendons , celui auquel bien peu de gens songent dans nos assemblées , c'est l'intérêt des consomma teurs , c'est-à-dire du pays tout entier. Or, pour qu'une modification de la législation sur les sucres amène quelques résultats utiles aux consommateurs, pour qu'elle diminue le prix d'une denrée nécessaire, il faut, non pas un impôt, mais un dégrèvement. L'impôt permet aux colonies de vendre plus cher en soutenant la concurrence ; le dégrèvement leur eût permis de vendre meilleur marché, ce qui vaut beaucoup mieux. Quoi qu'en ait dit M. d'Argout, dans son rapport d'ailleurs si subs tantiel, il est certain qu'un dégrèvement, opéré largement, entraine un accroissement considérable de consommation et par conséquent indemnise le trésor des taxes qu'il sacrifie. On a eu le plus grand tort de ne pas entrer hardiment dans ces voies, où l'Angleterre s'est depuis long-temps placée et dont elle se trouve fort bien. Dans les pays que régit la forme constitutionnelle , il faut avant tout songer aux intérêts du plus grand nombre , parce' que c'est cette majorité nationale qui fait la force du gouvernement. Si l'on était bien péné tré en France de cette vérité, on n'aurait pas tant de répugnance à aborder hardiment le système de la réduction des taxes....
À propos
Le Constitutionnel fut un quotidien politique sur quatre pages, fondé par Fouché et une quinzaine d’actionnaires, pour la plupart contributeurs du journal. D’abord bonapartiste, il s’agissait d’un organe puissant jusqu’à la naissance du Second Empire, rassemblant bonapartistes, libéraux et anticléricaux. Marqué par la personnalité d’Adolphe Thiers, le journal rendait compte des informations diplomatiques européennes, mais discutait également de l’actualité politique française.
En savoir plus Données de classification - maréchal de france
- guizot
- d'argout
- saint-pé
- clauzel
- persil
- molé
- france
- paris
- russie
- werther
- angleterre
- orléans
- hernani
- espagne
- bavière
- europe