Extrait du journal

Daniel faisait si peu de bruit, et tenait si peu de place au soleil, qu’on le regardait comme un être insignifiant : ou t’aimait, mais on ne le comptait pas. Il disait si souvent qu’il n’était ni beau ni spi rituel, qu’on avait fini par le croire, et, à force de se le rép ter à lui-même, il l’avait cru comme les autres. Il y avait cependant en lui la poésie du cœur, à défaut de celle de l’esprit ; et. en regardant bien au fond de ses petits yeux, un y apercevait une âme si belle, d’une clarté si pure, qu’elle finis sait par éclairer, par métamorphoser même ce pau vre el vulgaire visage. Mais Daniel était trop modeste pour se douter de tout cela. Il s’élait habitué à une existence calme effacée, prosaïque ; il n’avait pas l'ambition d’êlrc quelque chose dans le monde ; au lieu de chercher â y jouer les premiers rôles, il se rangeait tout simplement dans la classe des comparses. Voilà pourquoi il était figurant au théâtre et chan tre à sa paroisse, deux métiers difficiles à concilier, et dont la réunion semble presque une profanation. 11 est difficile d’entendre !a même voix chanter le matin les psaumes de David, et le soir, le chœur final d’un vaudeville. Mais Daniel avait une mère pauvre et souffrante, cl il ramassait sur les plan ches du théâtre, comme sur les dalles de l’église, l’argent que le (bon Dieu lui jetait pour la soigner. Au théâtre, il ne ressentait en rien les émotions...