Extrait du journal

Lorsque j’écrivis dans le Droit quelques lignes sur la bibliothèque des avocats, je promis de visiter, dans un second article, l'intérieur de son enceinte, exclusivement consacrée au travail et à la jurisprudence; de parcourir avec le lecteur ses rayons chargés de livres, parmi lesquels dominent l’épais in-quarto, l’in-folio gigantesque, formidable monument de l’opiniâtre laboriosité de nos pères. C’était là, je dois l’avouer, prendre un engagement téméraire, et je ne me sens pas le courage de tenir parole. Que vous dire, en effet, de ces dix mille volumes confiés à la garde "du vigilant Marinier ? Ouvrages de droit pour la plupart, quelque peu de science et d histoire, presque pas de littérature, mais tous ouvrages connus et choisis, et par cela même peu curieux à décrire; des livres, et grâces au choix intelligent du membre de l’ordre chargé de cette tâche (1), de bons livres, mais voilà tout : rien d’attrayant pour la grande famille du bibliophile, à quelque variété qu’il appartienne ; point de ces maroquins où l’or se dessine en filets nets et brillant, de ces reliures de luxe à dos brisé, rayé, sculpté et moulé de mille manières qui font pâmer d’aise certains amateurs ; point de ces indéchiffrables bouquins détruits à demi parles siècles, que l’imprimerie produisit péniblement dans son enfance, et précieux parce qu’ils sont rares ; point de ces éditions admirées qui ont fait prendre à l’art utile de la typographie la place qu’il a toujours conservée depuis dans les rangs élèves des beauxarts; mais, je le répète, des livres usés déjà par le frottement ou le travail , car peu de bibliothèques sont plus impitoyablement remuées , fouillées et feuilletées que celle des avocats. Du reste elle ne renferme aucun manuscrit, si ce n’est quelques feuillets d’une vieille histoire romaine en langue deuil, et un ou deux tomes incomplets du romand Q Lancelot du Lac, qu’un avocat a récomment trouvés dans les ruines d’un gothique donjon qu’il venait d’acquérir : pauvre Lancelot, qui charma sans doute souvent les ennuis de plus d’une noble et jolie châtelaine , et que sa bizarre destinée relègue aujourd’hui en si bourgeoise et si triste compagnie! Ces parchemins sont ornés d’enluminures et de caractères de la plus grande richesse ; et maintenant qu’au goût de l'antique a succédé la passion du gothique poussée à la monomanie , qu’il n’est pas un épicier qui n’affiche son sucre et sa capelle sur les auvents de sa boutique, en grosses majuscules du moyen-àge , plus d’un artiste pourrait y trouver un sujet d’étude et de profit....