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Le Figaro, 1 avril 1930

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Le Figaro
1 avril 1930


Extrait du journal

Je connais des gens bien malheureux. lis avaient, dans leur appartement, un de ces petits oiseaux couleur de grenouille, que nous appelons perruches. Cette perruche était charmante. Elle s'ennuyait un peu; on ne l'en aimait que davantage. Nous étions pour elle aux petits soins ; nous lui donnions des graines et souvent un demi-biscuit. Elle était seule dans Sa cage, et parfois Patachou montait sur une chaise afin de lui parler. — Tâche de faire un petit œuf. Perruche, lui disait-il. Tu auras ensuite un petit perruchon, et cela te fera une petite compagnie. La perruche regardait Patachou de côté : elle semblait ne pas entendre ce langage. Faisait-il beau, nous accro chions sa cage au volet bien ouvert ; et, du haut du quatrième étage, et son destin suspendu de la sorte à un clou, elle regardait passer les autobus. Les moineaux quelquefois se posaient sur la cage et tentaient de voler le reste du biscuit. Elle ne bougeait pas, mais elle nous appelait. Nous entendions ses cris ; nous courions à la fenêtre ; les moineaux s'envolaient. Nous étions ses servi teurs, ses gendarmes, son armée permanente. Mais, l'autre jour, le concierge est venu jusqu'à nous. Il tenait à la main une sorte de lettre de cachet. Cet homme n'aime point les oiseaux. Il apparut donc sur notre seuil, désigna la cage d'un inflexible et redoutable index, et comme nous le considérions avec étonnement, il dédai gna de parler ; mais sans doute parce qu'il s'agissait d'un oiseau et pour ce qu'il avait une âme débordante d'allégresse, il se prit à chanter. Vous savez que l'on dis tingue mal les paroles que peut prononcer un ténor — s'il les prononce — et c'est la raison pour quoi les livrets d'opéra contiennent rarement,, de l?eaux vers. Qui les entendrait ? La première place doit être ici donnée à la musique. Cédant verba musicœ, comme parlait cet ancien dont le nom n'est pas venu jusqu'à nous et que Cicéron plagia quand il glissa des armes et une toge où l'autre avait mis des mots et de la musique. Bref, notre concierge chantait et, de temps en temps, il exécutait une figure de ballet, tandis qu'il répandait ces paroles ailées : C'est à cause, c'est à cause De la psittacose ! Les concierges s'élèvent rarement à la grande poésie et je n'ai pas voulu prîtendre que nous eussions au logis un Ronsard pour nous tirer le cordon. Nous n'avons plus de perruche. Nous n'avons plus, accrochée au volet, que cette cage sans oiseau, qui attris tait déjà le poète, il y a précisément un siècle. C'était, pour Patachou, une sorte de rêve vivant. Et tous les soirs, il demande qu'on laisse la cage entr'ouverte. Il espère que, dans la nuit, elle pourra du moins se remplir de moineaux. Tristan Derènuj. ^ v '...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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