Extrait du journal

Dans la montagne, les «stations hiver nales » et celles où l'été se pressaient les touristes sont souvent les mêmes ; aux fer vents de la luge et du ski, n'arrive-t-il pas, ces jours-ci, pendant leurs promenades, de recon naître, étendus sur le balcon d'une villa, sur la terrasse d'un vaste chalet, des hôtes per manents de la montagne qu'ils avaient pu déjà saluer l'autre saison ? A un long séjour loin des villes, ceux-là demandent le rétablissement d'une santé gravement compromise ; captifs d'un horizon que la diversité des soleils renou velle sans jamais l'élargir, ils sont des malades installés dans la maladie par une cruelle habi tude. Nous, les bien portants, qui supportons sans grâce une indisposition brève, voire une maladie passagère, avons-nous jamais .réfléchi sur leur sort ? Nous sommes-nous demandé de quelle vie ils peuvent vivre ainsi, lentement, patiemment prisonniers de J'espoir ou de l'in quiétude, en marge de l'existence ordinaire dont le tumulte étincelle presque à leurs côtés et rejaillit parfois en éclats jusqu'à eux ? De cet autre univers, aussi éloigné des < bien portants » que Mars ou Sirius, une femme vient d'apporter la révélation dans un petit livre fort émouvant qui dit la « servitude et la grandeur de la maladie » : commentaire moderne à la fameuse prière que Pascal adres sait à Dieu pour lui demander le bon usage de ses infirmités. Mme France Pastorelli. était une épouse heureuse, une musicienne applau die que Vincent d'Indy avait formée, lorsque, en pleine jeunesse, le .coup de foudre d'une maladie la terrassa. Peu à peu, il lui fallut « rompre toutes les amarres » qui la reliaient à la vie, abdiquer les ambitions les plus légi times, composer avec la souffrance, accepter la dépendance du corps et son affaiblissement. En s'analysant avec une lucidité, inaltérable, en se confessant avec une sincérité presque ascétique, Mme Pastorelli démontre comment « une vie de malade est le théâtre de deux grands drames » : l'un, < le drame avec soimême », au long duquel le patient n'a jamais fini de se conquérir et de se dominer ; l'autre, « le drame avec l'entourage », qui met en jeu les mille susceptibilités, les incompréhensions quotidiennes, toute une flore épineuse que les précautions de l'amour et.de la bonne volonté ne peuvent toujours empêcher d'éclore autour des chaises-longiies et des lits. Mme Pastorelli, cependant, enseigne comment d'étape en étape, à partir du renoncement initial, un malade peut s'élever jusqu'aux cimes intérieures de la sérénité — organisant, en marge de la nôtre, une vie riche et précieuse. < Que l'on soit forcé de restreindre ses facultés, sa culture, parce qu'on est enfermé dans une chambre ? Quelle idée fausse ! » Certains malades sont persuadés qu'ils goûtent dans leur demi-réclu sion des plaisirs intellectuels plus aigus et plus purs : à quoi Marcel Proust n'eût pas contredit. Mais c'est Pascal qui aurait applaudi à ce cri : « Puis-je maudire une maladie qui a achevé de détruire en moi ce qui résistait à Dieu ? » Car l'univers des malades a des ouvertures sur celui des mystiques et des saints. Et il arrive qu'en'travaillant cruellement la pauvre argile humaine, la souffrance, à travers elle, sculpte des âmes admirables d'où émane un inépuisable rayonnement....