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Le Figaro, 1 juin 1928

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Le Figaro
1 juin 1928


Extrait du journal

La Lune et la Pie L'autre soir, tandis que la lune ronde glissait à mon carreau, je relisais les vers de Cécile Sauvage, — des vers que l'on devrait plus souvent relire ou, du moins, avoir lus, pour ce qu'ils sont bucoliques et passionnés et pudiques, et qu'ils savent évoquer les vieux problèmes qui sont le mystère même de l'âme des hommes. Cécile Sauvage est morte, hélas ! l'an der nier ; et, dans cette nuit qui commençait, je me disais ses vers : Je fuirai sans avoir sur les monts de la lune Cherché parmi les rocs des coquillages morts Et, poursuivant son vol pesant et sa fortune, I,'astre s'éloignera jaloux de ses trésors. Je' ne m'assoirai pas au dos de la Grande Ourse Dont le lopin d'azur hante mes soirs d'été ; Comme un cheval lancé dans l'arène à la course, Je tournerai toujours dans mon humanité. ' Eh! oui,'nous tournerons toujours dans notre humanité. Et notes qu'il n'y avait, dans la mélancolie de Cécile Sauvage, rien de cet esprit profond de révolte, qui est le. véritable secret du romantisme. Elle n'était point pa reille à Laforgue, qui, lui aussi pourtant, sou haitait de vivre dans la lune, mais seulement parce qu'il se voulait évader d'un monde qu'il jugeait trop mauvais et, pour tout dire, inha bitable. Cécile Sauvage était plus sage ; et, loin de mépriser aucun canton de l'univers, elle eût voulu les connaître tous. N'est-ce le grand rêve ? Et qui n'accepterait d'être le Pic de la Mirandole de l'Infini ? Mais un songe est un songe ; et Cécile Sauvage le savait bien, qui s'accommodait et parfois s'enivrait de l'humble bonheur que nous peut donner le sort sur cette boule qui tourne. N'est-ce pas la meilleure so lution, et la seule, peut-être, qui est de puiser de la joie aux fontaines coutumières ? Certains allégueront qu'il est dans la vie trop d'heures amères ; et l'on ne nie point qu'en nos journées, la mélancolie ne se mêle abondamment à l'allégresse. Chacune de nos sai sons est noire et blanche, si vous voulez, à la manière d'une pie ; et je songe, sur,,ce propos, à ce que chante un personnage de Francis Jammes : Jl n'est,,que, de ne pas penser ; il n'est que de rire et danser.; . Ne vois que le blanc dans la pie Et dans la vie. Vous me répondrez que c'est bien difficile, qu'il y faudrait le concours de quelque homme docte et qui fût opticien, et même magicien, et qu'en attendant des jours meilleurs, ce noir, que nous voyons sans cesse auprès du blanc, nous fait une existence grise et couleur de cendre. Je trouve dans ma cendre un goût de miel suave, disait Jean Moréas ; et c'est, sans doute, le grand secret du bonheur que de tirer de la tristesse même une manière de consolation. Tristan Derème....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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