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Le Figaro, 31 mai 1928

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Le Figaro
31 mai 1928


Extrait du journal

A présent, dans une exposition d'art déco ratif ou de mode, lorsqu'un critique tire un carnet de sa poche pour prendre une note, un cerbère paraît, qui le surveille et le file. Je parle en historien. Et si notre homme pousse jusqu'au croquis, dont il lui serait commode d'aider sa mémoire, gare à lui. Une voix rude lui ordonne de cesser. Il aura beau décliner ses titres, son état civil. Ses protestations ne servent pas. Il faut qu'il cède, et il est mal vu. Il sera suivi d'un re gard soupçonneux. Décorateurs, couturiers, modistes, bottiers, bijoutiers, ils vivent tous dans l'appréhension du plagiat. Dire qu'ils aient tort serait trop dire. C'est l'un des caractères de notre époque. La belle forme nouvelle, honneur d'un nom, la trou vaille d'une tête et d'une main, l'idée ingé nieuse et heureuse, sont à l'instant copiées par une foule de plagiaires à l'affût, qui vont la reproduire à bon marché, la galvauder, la déconsidérer dans les huit jours. On comprend bien que les vrais inventeurs, on comprend que les auteurs originaux en soient irrités, et qu'ils se concertent pour se défendre, et qu'ils pren nent des résolutions un peu fortes. Ils ne seraient pas des hommes. Je voudrais seulement tout à la fois les rassurer et les avertir. La colère est une pas sion qui inspire mal. D'abord, quoi qu'ils fassent, ils seront pla giés. Cela est dans l'ordre. Cela est de tous les temps. Le nôtre n'est remarquable que par la rapidité du larcin. En second lieu, ils de vraient sentir que l'imitation est un hommage. Un artiste qui exerce une influence en est flatté. Que le plaisir de l'artiste vienne donc ici panser la blessure du commerçant. Enfin, qu'ils ne s'étonnent point, leur émotion est excessive. Il n'y a pas lieu de s'émouvoir beaucoup. Ce que l'on copie est peu de chose : le détail, la fioriture, une pièce découpée, un volant. Au lieu que ce qui compte et ce qui échappe aux plagiaires est une ligne, un mou vement, une coupe, un goût, — un style enfin pour tout exprimer en un seul mot. Et dans ce style même, l'excellence, un point de per fection. Il y a dans Paris un sellier et maroquinier pillé depuis vingt ans par tout l'univers. Si vous voulez connaître six mois d'avance quelle sera la vogue des sacs à main, il suffit de consulter sa vitrine. Il se dédommage en créant à perte de vue. Faites comme lui. Et quand l'étranger nous ravit une couturière ou une modiste, après deux hivers sous un autre ciel elle est à court. Elle a pourtant reçu les journaux, les dessins. Mais la source est tarie... N'avais-je pas raison ? Si la phobie du plagiat devait se répandre, hélas ! on se mettra à compliquer, à suren chérir ; on aura les yeux fixés "sur une couture, une dentelle, un bouton ; pour défier l'adver saire, on se torturera l'esprit. Un style s'épuise vite à ce jeu. Attention. La pente est mau vaise. Danger ! Eugène Marsan....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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