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Le Figaro, 3 juin 1931

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Le Figaro
3 juin 1931


Extrait du journal

Par HENRY BORDEAUX Cette journée du samedi 30 mai, à Rouen, comment l'oublier jamais ? Cinq cents ans ont passé. Sur cette place du Vieux-Marché où fut dressé le bûcher où fut ibrûlée Jeanne, ils sont tous là. Tous, splendides et chamarrés. Le gouvernement, qu'elle a ré tabli en France et qui, dès qu'il a été rétabli par elle, ne s'est plus soucié d'elle. L'armée qu'elle, a commandée et qui l'a abandonnée : trois maréchaux de France, le généralissime des généraux, des officiers, des soldats, des marins. La justice qui l'a condamnée : magistrats avec leurs, robes rouges ou noires, leurs hermines, leurs toques. Le barreau qui ne l'a pas défen due. Le clergé qui l'a convaincue de sorcelle rie : cinq cardinaux rouges dont les longues traînes sont portées par des cïercs dans un cé rémonial magnifique, quarante archevêques ou évêques violets, prêtres blancs innombrables, L'Université en robes jaunes qui l'a convaincue d'imposture, et l'Université de Paris a même envoyé une adresse pour flétrir son ancêtre. Les Académies, qui ont attendu des siècles pour la célébrer et lui donner accès dans l'art et les lettres. Les Anglais qui l'ont exécutée, et qui sont représentés par leur ambassadeur, et pfir une délégation de maires en robe rouge bordée de fourrure et tricorne noir. Le peuple enfin qui a assiste sans broncher, sans protester, sans se soulever, a son exécution, à l'exécution im placable et cruelle d'une enfant de dix-neuf ans. Pas un rie tnànque. êii vérité ! Un seul peut se présenter sans roussir de honte, et c'est le Légat du Pape. Car le Pape, à qui Jeanne en appelait, des qu'il a ele saisi du procès, dès qu'il en. a connu les pièces, l'a absoute et glorifiée. Elle était morte depuis un quart de siècle, mais sa mère, qui n'avait pas cessé de croire en elle, a vécu assez pour entendre la sentence de réhabi litation. Réhabilitée, ce n'était pas assez. Il fal lait cette réparation à quoi le monde entier a .voulu prendre part, . Je souhaiterais écouter les discours, et je ne puis les suivre. Parfois une phrase de M. Hano? taux, son historien, de M. Léon Bérard qui re présente le pays, vient jusqu'à moi, mais je suis pris tout entier, par un autre spectacle. Elle est amenée ici en robe blanche, en femmç, elle qui a conduit les hommes en habits d'homme, comme une guerrière sans arme à qui son, vi sage. suffisait. Elle a un cri de détresse quand elle aperçoit le bûcher dressé : « Rouen ! Rouen ! seras-tu donc ma maison ? » Son pro digieux courage va-t-il faiblir ? Elle doit subir un affreux sermon hypocrite et lés injures de l'évêque Cauchon, car celui-ci eut toutes les lâchetés, jusqu'au bout. Elle est liée sur le bû cher. Elle crie son innocence, elle proteste con tre les accusations du pilori. Et puis, oublient la terre, elle n'a plus qu'un cri d'amour: Jésus !... Cela s'est passé ici, il y a cinq cents ans. A la place du bûcher, un grand vase de marbre soutenu par des colonnes de porphyre porte la ilamme symbolique qui se tord au vent. Et dans cette immense foule, dans ces acclamations qui célèbrent la suppliciée, j'imagine la solitude de Jeanne. Tout de même, elle n'avait pas vingt ans, elle avait incarné la jeunesse, la beauté, la victoire. Elle avait délivré des villes, désigné et couronné un roi, donné l'unité au pays, com mencé sa libération. Elle avait dû être entourée de bonheur et d'amour. Et personne ne lui était demeuré fidèle. Pas un n'a tenté de la sauver. Pas un n'a risqué sa vie pour la sauver. Le Christ a eu les saintes femmes sur le chemin du Calvaire, et l'une d'elles a essuj'é sa sueur d'agonie. Et puis le Christ ne pouvait douter de sa mission divine. La. justice humaine venait d'employer quatre mois de torture pour amener...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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