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Le Figaro, 4 octobre 1932

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Le Figaro
4 octobre 1932


Extrait du journal

Voici, déjà, les lents et longs troupeaux de moutons qui descendent, en sonnant, vers la plaine. Ils ont quitté la montagne et les pâtu rages aériens. Le froid commence de piquer. Un chien jaune court autour du troupeau ; à chaque instant, l'œil attentif, il tourne la tête pour regarder le berger, qui, de temps en temps, pousse des cris, en levant son long bâton — l'antique houlette, vieille comme le monde, signe et outil de commandement, qu'en rubannèrent de fadeur les poètes de bergeries, et qui, si on la raccourcît et la pare sobrement, se mue én sceptre ou enun de ces bâtons glo rieux que tous les soldats avaient autrefois dans leur giberne. Cependant le troupeau continue de marcher et de trottiner — pauvres brebis blessées qui traînent une patte — entre les haies du chemin campagnard. Le berger a vendu tous ses fro mages à la foire. Finis les jours ensoleillés, dans le serpolet et l'herbe, sous le ciel des hauteurs ! Dans le silence, il tricotait de gros bas, et, par certaines aurores, sur une large pierre plate, il répandait le sel à poignées. Alors, tout le troupeau défilait à la queue-leu-leu ; chaque mouton léchait un peu de sel, et, par fois, entre eux, se glissaient deux ou trois isards, qui prenaient leur part de ce rare festin. J'ai vu un petit berger de neuf ans, non point dans la haute montagne, mais au pied d'une colline heureuse, à une demi-lieue de la ferme où il rentrait chaque soir, avec ses huit vaches, qu'il connaissait toutes, selon l'usage, par leur nom. Il y avait Blanquette, Rouyette, d'autres encore. Assis sous un néflier, il déjeunait et tenait, dans sa main gauche, deux morceaux de pain, l'un tout petit, l'autre beaucoup plus gros. De son couteau, à chaque moment, il coupait une humble parcelle du petit morceau et une ample bouchée de l'autre. J'avoue que je le contemplais avec étonnement ; et il m'ex pliqua qu'il était fort pauvre, qu'il gardait les vaches d'autrui et qu'on n'avait pu lui don ner, ce matin-là, sa tranche de lard quotidienne. On ne saurait trop louer les forces de l'ima gination quand elles s'emploient, heureusement, à embellir la journée. Ce petit pâtre, et j'en ai vu bien d'autres, depuis lors, et des enfants qui n'ont que leur pain sec pour goûter — mais, les uns comme les autres, et c'est une coutume en ce coin du Béarn, — ne manquent jamais de diviser leur pain en deux parties inégales. Le petit bout de pain devient lard savoureux, et, peut-être, qui sait ? inégalable pâté, aile incom parable de perdreau. Il n'est pas de limites à ces sortes de rêves... Il ne faut pas mépriser tous les songes. C'est eux, on le voit bien en l'anecdote du pauvre berger, qui souvent nous aident à vivre, en nous faisant trouver notre existence moins morose. Qui de nous, comme en un grand mor ceau de pain, ne taille dans sa journée quelques instants, pour les consacrer à un rêve qui adoucit toutes ses autres heures ? Nous sommes tous pareils au pâtre que j'ai vu, et je me rappelle, à l'inverse, un autre en fant qui goûtait, tous les jours, d'une tartine de beurre, dont il était très friand. Avait-il fait quelque sottise, son oncle le condamnait à manger la même tartine, mais à l'envers. L'enfant 11e voyait plus le beurre, et la tartine lui était amère. Il pleurait. Que ne s'en rap portait-il à son goût ! Mais non ! Il voulait voir. O caprice... Selon l'homme et sa fantai sie, le pain sec est délicieux. C'est, pour l'un, le festin des dieux : son croûton devient ambroisie. Mais l'autre, en vain, se rassasie : sa tartine est tourment des yeux. Tristan Derème....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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