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Le Figaro, 6 avril 1931

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Le Figaro
6 avril 1931


Extrait du journal

La survivance de nos défunts parents et amis serait tin bien précaire si, comme le veulent certains philosophes, la fidélité de notre souvenir en était la seule garantie et, pour ainsi parler, toute la subs tance. La mémoire est une faculté de loisir, presque de luxe ; elle ne peut se donner carrière qu'aux heures de paresse et à nos moments perdus ; nous en avons peu, nous en avons de moins en moins. La vie est devenue trop difficile ; ceux qui s'y cramponnent encore ne peuvent plus faire à ceux qui l'ont quittée l'aumône de la pensée qui les ressusciterait. On n'ose plus dire, avec l'auteur de L'Oiseau Bleu : « Il n'y a pas de morts. » On est réduit à dire, avec la sagesse des nations : « Quand on est mort, c'est pour longtemps. » Ce pendant, ces morts, ces pauvres morts, s'ils ont de grandes douleurs, ont aussi des aubaines inespérées. C'est ainsi que. 1 autre soir, aux Folies-Bergèrç, pendant la représentation de la nouvelle revue, je n'ai pas cesse un instant de songer au vicomte Sosthène de La Rochefoucauld. Ce grand seigneur, que Ion pouvait croire à jamais roulé dans le second linceul (périphrase par laquelle les poètes traduisent le nom vulgaire de l'oubli), ne manque pas de titres à la célébrité. En 1814, dès sa vingt-neuvième année, il fut aide dp camp du comte d'Artois ; et le premier il pro posa d'abattre la statue de Napoléon qui surmonte la colonne Vendôme. Si donc il y avait une justice, Sosthène de La Rochefoucauld serait aussi fameux que Courbet. Il devrait même l'être davantage ; car un aimable diplomate, le comte d'Idéville, a péremptoirement démontré que ce n'est pas Courbet qui a déboulonné la colonne. Courbet n'en a pas moins été condamné à six pois de prison qu'il n'a pas faits; et à une amende considérable qu'il n'a pas payée ; et il est mort en exil, au lieu que Sos thène de La Rochefoucauld est mort dans son lit, profondément honoré, profondément oublié. C'est peut-être, va-t-on me dire, que Courbet était un grand peintre ; mais le vicomte de La Ro chefoucauld n'était pas non plus étranger aux beaux-arts. Il en devint même le surintendant, lorsque le comte d'Artois devint roi de France sous le nom de Charles X, et son premier soin fut d'ajouter deux ou- trois volants aux jupes, effronté ment courtes-des -dansdtisés de l'Opéra, On en fit, à l'époque, dès gôi-gés'chaudes; mais le ridicule, qui a perdu le pouvoir ae tuer, a perdu également celui d'immortaliser. Oh devine que, si le spectacle des Folies-Bergère m'a rappelé le vicomte Sosthène de La Rochefoucauld, la colonne Vendôme n'y était pour rien. C'était une histoire de jupes. Je ne tardai pas d'éprouver qu'on ne ment point quand on nous raconte qu'il suffit de penser aux morts pour les tirer de leur sommeil ; car je sentis vraiment rôder autour de moi cette ombre falote et prude. Il me sembla même qu'elle m'adressait la parole (c'est, si i'èn veut, une prosopopée). — Monsieur, me dit-elle, dans le style de la Restauration, daignez me rassurer. Aurais-je, en descendant aux sombres bords, égaré tous mes pré jugés, je veux dire tous mes principes ? Comment se peut-il faire que je ne frissonne pas, que je ne crie pas Vade rétro, et que même, je l'avoue en rougis sant, je goûte un certain plaisir, à la vue dé tant de personnes du sexe dont je serais bien empêché d'allonger les jupes, car, où il n'y a rien, le surin tendant des Beaux-Arts perd ses droits ? —■ Monsieur, lui répondis-je, vos alarmes font voir trop de délicatesse. Vous demeurez, aux champs élysées même, le champion de la modestie, l'ennemi juré de l'inconvenance ; mais c'est peutêtre sur la nature de cette dernière que vous vous mépreniez de votre vivant. Elle ne peut,..selon -moi, caniser de scandale que par une association 'd'idées, qui ne saurait être suscitée que par le mystère des dessous. Vous ne la prévenez donc point en donnant un peu plus de longueur aux jupes, tandis qu'en les supprimant tout à fait, on est bien obligé de suppri mer aussi les dessous, et où il n'y a rien, c'est le dia ble qui perd ses droits. Abel Hermant', de l'Académie française....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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