Extrait du journal

L'Ombre du maître Gaston Chérau tient une place à part dans la littérature contemporaine. On me dira « Nous savons que c'est un grand écrivain, un grand artiste, mais pourquoi un homme à part Son Champi-Tortu, sa Prison de verre, son Remous, sa Valentine Pacquault, nous en avons tous goûté l'ardente sève, ajoutons, la piquante sève, car votre ami est un ironiste de premier ordre, et, malgré des pages magistrales mouillées de larmes attendries, n'est-ce pas cependant sous la forme de la satire qu'il nous apparaît le mieux. Mais ce genre existe, d'autres l'ont pratiqué avant lui. Alors nous ne comprenons pas que vous le rangiez dans une catégorie spéciale. » Aussi n'est-ce pas son genre qui le fait trancher sur notre époque ce n'est même pas son style, pourtant si remarquable c'est le caractère de sa vision. Il voit juste, cela d'abord. Il voit ému, deuxième point aussi important que le premier car l'art n'est pas de voir, mais de voir avec une émotion communicative. Enfin, il voit ce qu'il faut, en éliminant ces traits parasites dont le récit n'a pas besoin et qu'on peut laisser au lecteur le soin d'évoquer. En agissant ainsi, Chérau atteint la nature même qui, elle aussi, a laissé de côté les éléments parasites, si bien qu'elle a fait des espèces impénétrables les unes aux autres, et offert des types sans se laisser gêner dans ce travail par l'abondance de ses moyens. Chérau, de même, ne crée pas ses types il les fait' sortir de la vie par* une discrimination propre à son esprit. Ce procédé, aussi' nouveau à sa manière que le'procédé' des impressionnistes qui faisaient sortir leur tableau du fond même de leur toile, en n'accordant jamais à une fleur d'exister sans l'atmosphère dans laquelle elle s'épanouit, ce procédé, Chérau en fut l'initiateur, et bien qu'il ait donné naissance à une école considérable, il est resté le maître le plus habile à s'en servir pour notre 'joie..<...