Extrait du journal
Si l'on réunissait en un fort volume tout ce qui a été dit et écrit depuis huit jours sur le jeune assassin qui attire chaque matin sur la place de la Roquette une foule aussi distinguée qu'avide d'émotions, on forme rait assurément un ouvrage qui serait d'un très grand intérêt pour les savants qui, dans un siècle ou deux, chercheront à déchiffrer la singulière population pari sienne de 1867. Les gens qui -blaguent tout, la religion, la loi, la mçrale et le bon Dieu, me semblent singuliè rement portés pour le moment à vouer tout leur in térêt —je n'ose pas dire leur sympathie — aux fameux misérables qui terminent leur sanglante carrière sur la place publique à la première heure du jour naissant. Je n'ai pas besoin de vous nommer celui qui est en ce moment le sujet de toutes les conversations, dans les clubs, les salons et les cabarets, à qui son effroyable cynisme a donné une place hors ligne dans les annales du crime et qui a frappé la multitude par le sangfroid avec lequel il a commis son assassinat et exprimé le regret d'avoir dû se borner à ne faire qu'une victime. On m'avait affirmé que la lecture de ces débats était d'un intérêt palpitant, que ce n'était point un criminel • ordinaire que celui qui ose répondre à la magistrature sur le ton glacial et refléchi. Gomme tout le monde, j'ai acheté la Gazette des Tribunaux pour me mettre au cou rant de la question palpitante du moment, et j'avoue qu'après avoir parcouru la moitié de cette cause trop célèbre, j'ai jeté le journal sous le coup d'une sensa tion d'horreur mêlée de dégoût que quelques-uns de nos lecteurs ont dû éprouver comme moi. Cet individu, que l'on m'avait dépeint comme une nature, et que les plus audacieux avaient osé appeler devant moi un ca ractère, m'apparaissait comme une des plus odieuses personnalités qui aient comparu en cour d'assises ; ce crime, commis dans les effroyables conditions que vous savez, n'ayant même pas pour semblant d'excuse la passion ou du moins l'entraînement me semblait de voir éteindre toute pitié dans les âmes les plus géné reuses et donner à réfléchir aux honnêtes gens sur la portée des plaidoiries que messieurs lés philanthropes d'occasion prononcent de temps à temps sur la peine capitale. De tout ce que cet homme a dit à l'audience et ail leurs, âl, découle à l'évidence que la seule folie dont il •est obsédé est celle de faire parler de lui, et que de puis le jour où il a conçu l'idée première de son crime, il a. été guidé par cet horrible sentiment que j'oserai appeler la vanité de l'échafaud. Toutes ses réponses, tousses discours, son attitude cynique, jusqu'à son sangfroid qui a frappé les masses, dénotent cette même idée fixe, exprimée d'ailleurs à différentes reprises par le condamné, d'occuper un instant Pattention publique, au prix même de sa tète. Il est bien évident que la lecture d'une cause célèbre ïie conduira jamais un honnête homme dans toute l'ac ception du. mot sur les bancs de la cour d'assises ; mais les âmes basses et corrompues, les hommes à qui le travail répugne et qui ont soif d'une célébrité épou vantable peuvent cire éblouis et;,entraînés par la pu blicité, que l'on fait jsi complaisamment aux-grands criminels, ,et dont une grande part de responsabi lité incombe à la presse. Quand la justice a dit son dernier mot dans une de ces sanglantes affaires, les journaux devraient considérer comme un devoir de ne plus parler de ces tristes héros que pour annoncer le dénouement, mais au lieu de se renfermer dans un louable silence, les journaux — le Figaro comme les autres —se plaisent à.publier chaque jour de, nouveaux détails sur le,condamné, et à enregistrer, ses faits et gestes tout comme-s'il s'agissait d'une de ces gloires nationales dont on.aime à entretenir lft public. L'assassin a dit ceoi, l'assassin a répondu cela ; il a * souri quand on lui a mis la camisole de force et il a...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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