Extrait du journal

Il y aurait un moyen bien simple de combler le déficit, ce serait de découvrir l'endroit mystérieux où on trouve de l'argent pour faire des journaux. Il y a évidemment quelque part un trésor caché, une mine où vont puiser ceux qui lancent tous les jours ces feuilles d'opinions diverses, dont les titres sont criés avec tant de zèle sur les boulevards. La corporation des vendeurs est plus complète que la troupe de l'Opéra, et si elle manque de ténors, elle abonde en barytons enroués et en basses laryngorrhagiques. Chacun de ces journaux, qui multiplient sans croître, répond à un besoin, celui du rédacteur en chef. Mais un homme sérieux, désireux de faire son chemin et de conquérir rapidement le portefeuille des postes et télégraphes, donnera toujours la préférence à un journal connu et réunissant un certain nombre d'abonnés. Est-ce à dire que les cinq cents journaux qui publient un premier numéro, quelquefois suivi d'un second, soient inutiles au progrès ? Loin de moi l'idée d'un pareil blasphème. Ce premier, cet unique numéro est envoyé en Angleterre, en Prusse, en Autriche ; il en arrive un exemplaire à Téhéran, un à Canton, un autre à Madagascar. Ces journaux sont comme les pollens emportés par le vent, et qui, tombant sur des îles désertes, nouvellement sorties du sein de la mer, les couvrent bientôt d'une luxuriante végétation. Un voyageur a rencontré sur les hauts plateaux de l'Afrique du Sud un colon qui renouvelle régulièrement encore aujourd'hui son abonnement au Moustique, journal qui a cessé de paraître depuis neuf ans. Ce planteur plein de foi s'imagine que c'est le gouvernement qui arrête le Moustique à la frontière et il attend patiemment la révolution qui lui rendra son journal....