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Le Figaro, 9 août 1936

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Le Figaro
9 août 1936


Extrait du journal

Je pense à vous, Goya... Je regarde les quatre-vingts planches gravées à l'eau-forte, retouchées de pointe sèche, où vous avez représenté sans complaisance les atrocités de la guerre : celle dont vous aviez été témoin ; pour vous, guerre étrangère, mais guerre d'Espagne, et toutes les guerres d'Espagne se ressemblent. Toutes les guerres civiles aussi. Je me souviens de ma jeune indignation, lorsque je lus dans un roman qui pa rut en 1886 et dont je trouve superflu de rappeler le titre, que les guerres civiles sont les seules qui se justifient. Un autre auteur, dont je ne crois pas non plus devoir citer le nom, d'ailleurs illustre, a écrit que l'on connaît au moins ceux qu'on tue quand on se bat entre concitoyens. Vous étiez, Goya, torero et homme de main avant d'être peintre, et vous n'aviez pas, grâce à Dieu, ombre de littérature. Ces poncifs de salons rouees vous au raient fait hausser vos larges épaules, et, sans y prêter seulement attention, vous auriez ramassé, comme il vous est arrivé souvent, de la boue au ruisseau pour improviser sur le mur quelque terrible fresque en grisaille : mise à mort, de taureau — ou d'homme, viol, incendie, pillage, misère et faim. Aujourd'hui res semble à hier,' et le. miracle de votre actualité revenue devrait faire de vous l'homme du jour. Pourquoi donc ne voit-on pas toutes les têtes penchées sur vos images de l'autre siècle, qui sont comme des préfigurations de ceiui-ci ? Pourquoi suis-je peut-être le seul qui ait pensé à vous ? C'est que ce siècle-ci a un goût si prononcé pour les spectacles de la mort et pour les faits divers de sang que votre réalisme même ne lui suffirait pas : il ne souffre plus l'intermédiaire d'un artiste entre sa sensation brute et la répugnante réalité. Quand on lui montre une scène qu'il sait qui est arrivée, il veut être bien sûr que c'est arrivé comme cela : vous, et les autres peintres, vous lui donnez l'impression que vous l'avez vue comme cela ; de quel droit substituez-vous votre vision à la sienne ? Faut-il, comme dit la chanson, que « votre. orgueil soye profonde » pour vous flatter de voir mieux que lui ! L'objectif, œil imper sonnel, lui inspire seul confiance ; c'est quand il regarde un bon cliché qu'il croit vraiment « y être lui-même ». Jamais un cadavre dessiné ou peint par le plus habile homme du monde, par vous, ne procurera aux amateurs de la mort le frisson qu'ils cherchent : il leur faut le cadavre photographié. C'est une chose vilaine que ce goût, à présent si répandu, de la mort pour elle-même, pour sa laideur macabre, et cette méfiance de l'art qui risquerait de la transfigurer. Ces momies de carmé lites que l'on a tirées de leurs cercueils et exposées, par dérision sacrilège à la porte des couvents, si c'était vous qui les eussiez peintes, elles auraient pu intéresser les artistes : elles auraient laissé indifférent un public moins déli cat que l'ours de la fable; que l'odeur de la charogne, si peu qu'elle sente, met en fuite. » Abel Hermant, ' * de l'Académie française....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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