Extrait du journal
sieurs étages— on ne sait combien _— ont croulé, les murs extérieurs. subsis tant seuls. Il n'y a plus qu'un' immense trou. Rien ne se distingue que la char pente du toit, line, précise squelettiqùe. Cette profonde plaie creusée aux flancs de la belle vieille demeure, cette nuit, coupée de tragiques rayons blancs, quel cuivre poignant Piranèse en eût fait ! Et le vent, un vent prodigieux, irréel, roule là dedans des tonnerres de grand orgue exalté, formidable bruit, où, par instants,, on croit saisir les rythmes or donnés d'une sublime et terrifiante mu sique. Le vent fait un bien autre fracas dans les anciennes maisons solitaires que dans les nôtres. On d Irai t qu'il y ranime tous les sons du passé : rires frénétiques soudain interrompus , san glots qui s'ébauchent et s éteignent sous le grondement dominateur; étranges hurlements de combat et. de mort, cris sements de fer, et dans les minutes sus pendues où-tout se tait, faible soupir de cœur en peine. Puis, ces voix fantômes se réunissent, se confondent en un gigantesque tumulte. Ce n'est pas le seul vent d'aujourd'hui que l'on entend là-.. *** Le fermier conte des histoires. Ce châ teau appartenait — ah ! il y a des temps! — à une jeune dame d.ont le mari émigra, lui laissant le soin de se débrouiller. Ce seigneur, de tempérament diètrait,( oublia de donner signe de vie, et cela pendant des années, de sorte qu'à la longue on le tint pour mort, ainsi qu'il semblait logique de faire. Cependant, la dame abandonnée se consola, se. reprit à l'existence, devint amoureuse. Peutêtre même était-elle remariée quand, un vilain jour, l'émigré reparût, se fit re connaître, dérangea toutes choses. On vendit le château, la pauvre dame quitta le pays et on ne sait ensuite ce qui lui advint. Peu de joie; sans doute. Le propriétaire qui lui succéda perdit un soir toute sa fortune au jeu. La terré fut morcelée. Un jeune cultivateur — le père de mon vieux fermier — acheta le château et quelques hectares, coupa les arbres du parc, bâtit une grange et une étable, installa sa famille dans la cham bre Louis XV, son grain dans la salle des fêtes et laissa le temps travailler la noble bâtisse. Quand l'orage brisait une fenêtre, il!y clouait des planches puis retournait à son ouvrage. Ainsi finit la gloire de l'admirable maison que Bra mante eût signée fièrement. & Elle connaît bien mieux que le vieil homme les histoires confuses qu'il ra conte, et bien d'autres ! Elle garde la mémoire de tous les drames qu'ont vus les chambres abîmées dans< le grand trou noir, et chaque-fête de la noble salle, où la poussière couvre les > faux et les sacs, elle s'en souvient. Elle n'a pas oublié l'élégante qui, sous le règne de Louis le Bien-Aimé, voulut faire- sa chambre délicate dans la salle où veil laient les gardes aux temps féodaux. — Douce chambre que la tendre fèmme de l'émigré choisit peut-être pour y abriter son amour inquiet, son pauvre bonheur précaire. L'ancienne demeure' se rap pelle! Et aujourd'hui, avec l'indulgence triste et bonne des grandes choses pour les petits êtres, elle regarde affectueuse ment ce vieillard qui, entre ses murs ci selés et précieux, achève doucement sa vie sans rêves. Elle lui pardonne... ***\. . Voulant ne rien omettre de ce qui concerne « sa maison », le fermier dit : « Plusieurs fois, des Américains ont voulu l'acheter ». Ce trait achève de donner tout son sens à la bâtisse mutilée. On comprend : elle est immortelle !.'.. La voûte aux arabesques, c'est un frag ment du château fort qu'elle fut. La mer veilleuse construction de loisir qu'on y éleva au seizième siècle n'a que gagné plus de grâces lorsque, d?une main lé gère, le dix-huitième y.mit sa signature. On l'a partiellement démolie sans atten ter à son âme. Quatre-vingts ans, des fermiers y ont vécu ;" pourtant elle reste si belle qu'au passage elle tente ces fortunes qui représentent exactement l'heure où nous,sommes. La noble mai son.est immortelle ! . Bientôt, sans doute, on l'achètera. Les fenêtres s'ouvriront, dans l'abîme noir on fera maint salon propre ■ au bridge, ses murs admettront des conduits pour l'eau chaude, des baignoires, et des fils électriques. Les automobiles ronfleront dans la cour, et, plus timide, le vent se réfugiera au grenier quand il voudra réveiller les voix mortes. Pour durer, il faut qu'on s'adapte... La vieille maison durera. Cependant, on éprouve une joie se crète à se dire qu-elle est encore une ferme, pleine de poussières, de pailles, de vent, "d'obscurité, dejsolitude, de mys tère, et garde encore sa poésie suprême de fée en loques piteuses que son regard de diamant seul révèle, en faisant naître des fleurs dans les âmes pensives qu'il a traversées. & HT# Puis, c'est, fini, on part, la laissant comme une de ces créatures presque in connues et que soudain on chérit à ja mais pour une brève confidence, la beauté sublime et douloureuse dé leur visage. On part... Le soir tombe, les épines en fleurs sont plus blanches près de la terre brunie. L'air rapide a un goût de source, de résines et d'écorces. C'est l'heure divine. On voudrait rester dans cette paix des journées finissantes, loin du bruit harcelant que font les mouve ments utiles des humains, s'endormir avec les plantes, parmi le silence et l'obscurité des campagnes profondes. Rester là!... Mais non! Il faut partir, retrouver les habitudes qui engourdis sent le désir d'être heureux, les objets...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
En savoir plus Données de classification - andré
- amici
- homolle
- scheidemann
- bérard
- fougères
- henry marcel
- eu
- guist'hau
- jean de vérez
- paris
- harcourt
- france
- vatican
- belfort
- scutari
- marseille
- europe
- lyon
- bordeaux
- drouot
- jeu de paume
- salon des refusés
- institut de france
- conseil d'etat
- osservatore romano
- casino de monte-carlo
- ecole
- union postale