Extrait du journal
UN CELIBATAIRE Par MAURICE DONNAY, \.* de l'Académie Française• GHAMFORT disait : < Je ne veux point me marier, dans la crainte d'avoir un fils qui me ressemble. Oui, ajoutait-il, dans la crainte d'avoir un fils qui, étant pauvre comme moi, ne sache ni mentir, ni flatter, ni ramper et ait à subir les mêmes épreuves que moi. », Et Sainte-Beuve observe que cette morale est celle d'un célibataire usé et aigri, qui a érigé son propre malheur en ironie et-en système. C'est un type dans le genre de Chamfort, ce céliba taire qui me disait dans les premiers temps qu'on avait établi l'impôt sur le revenu : —- Je suis.célibataire, c'est vrai ; mais est-il juste qu'en cette qualité je paye plus d'impôts qu'un autre citoyen. J'entends bien qu'un jeune homme normal qui 6e refuse au devoir de fonder une famille et d'élever des enfants fait preuve d'un certain égoïsme et d'une indif férence blâmable quant à la repopulation. Mais, moi, je ne suis pas normal et ne devrait-il pas y avoir, vis-à-vis du fisc, des cas d'espèce ? Regardez-moi... pouvais-je faire le bonheur dune femme ? Contemplez mon visage... je suis affreusement laid et, quand j'étais plus jeune, je n'étais pas plus beau. Quelle femme aurait voulu 'de moi ? Lorsque j étais enfant, ma mère, bourgeoise économe et. sage, me répétait sans cesse qu'un homme n'avait pas besoin d'être beau, pourvu qu'il fût intelligent et travail leur. Le cinéma a changé tout cela et, aujourd'hui, à force de voir de beaux gosses sur l'écran, les jeunes filles pos sèdent un sens de la beauté masculine qu'elles ne possé daient pas autrefois. Quelle jeune fille charmante m'au rait agréé ? Et en supposant qu'il s'en fût trouvé une pour accepter .ce sacrifice, quel sort m'attendait dans une telle uhion • ? Il n'y avait qu'une solution : épouser une per sonne disgraciée. Mais je n'aurais pas pu, tien avant le cinéma, j'étais sensible à la beauté. Et j'aurais bien aimé aussi fonder une famille : j'adore les enfants à qui, d'ailleurs, mon visage fait peur ; j'ai, des entrailles de père, de beau-père, de grand-père. Mais non, j'étais condamna au célibat et, après cette condamnation, on m'inflige une majoration. — Le législateur en sa sagesse, dis-je à ce mécontent, a jugé que, n'ayant à vous occuper que de vous seul, vos charges étaient moins lourdes que celles d'un père de famille. Cela est très juste, quoi que vous en pensiez. ~ Nous sommes d'accord, répartit mon célibataire, mais j'ai un cœur et vous l'ai dit, j'aime la beauté. Alors la femme légitime à laquelle je renonçais, j'ai dû la rem placer par de successives illégitimes et, comme je n'avais pas la prétention d'être aimé pour moi-même, je reconnais sais, par 1 octroi de quelques biens matériels, leur bonne volonté et leur indulgence provisoires. Je puis dire que tout le temps qu'elles ont supporté ma laideur j'ai aug menté leur pouvoir d'achat, selon une expression qui a fait fortune,, en ruinant pas mal de gens. De sorte que, célibataire, mes dépenses n'ont pas été moindres, j'ose même dire au contraire, que si j'avais eu une épouse fidèle, économe et féconde. C'est pourquoi je n'encaisse pas cette majoration d'impôt, pour cause de célibat. En somme, l'Etat punit ma laideur. Il aggrave cette inégalité. A ce compte-là, pourquoi la majoration n'atteindrait-elle pas les chauves et les obèses ? —- Vous vous égarez, fis-je, l'Etat n'a point à s'occu per d'un cas très particulier, comme le vôtre. Et puis, vous connaissez l'admirable fable : Le meunier, son fils et l âne. Quoi que fasse le meunier, je veux dire le minis tre des Finances, personne n'est jamais content. J ai rencontré ces jours-ci mon ami, le vieux céliba taire. Ses idées avaient complètement changé. Il avait compris la situation : il m'avoua qu'il payait la majora tion sinon avec joie, du moins sans gémir. Il déplorait la dénatalité ; il n'était plus égoïste et, pour racheter son célibat, il 6'occupait d'une colonie de vacances, contri buait à envoyer des enfants à la mer, à la montagne. Il avait acquis le sens social ; dans un autre orde d'idées (il ne s agissait plus d'enfants), il me confia qu'il s'occu pait aussi d une ceuvre très intéressante en préparation. _ Maurice Donnay, de l'Acadimie française. (Suite page 3, colonnes 1 et 2)...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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