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Le Figaro, 10 décembre 1934

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Le Figaro
10 décembre 1934


Extrait du journal

LES MUTILÉS manifestent place de l'Opéra Une courte et regrettable bagarre a mis aux prises les grands invalides de guerre et les agents Aux portes du ministère des Finances, les amputés et grands invalides de la guerre avaient manifesté, jeudi dernier, pour réclamer que le projet de loi sur l'aide supplémentaire du gouvernement qui leur avait été promise, soit voté. Hier après-midi, les mutilés se livraient à une nouvelle manifestation. Dès 14 h. 30, des amputés de guerre se groupaient sur les marches du Théâtre National de l'Opéra ; quelques femmes et des enfants les accompagnaient. Des forces de police se tenaient en ré serve et encadrèrent bientôt les manifes tants, au nombre de 400. Vers 15 heures, ceux-ci exprimèrent leurs revendications. A 15 h. 15, la pluie tombait abondamment et les mutilés, avec des petites voitures en tête, essayè rent de former un cortège pour défiler sur les boulevards. Les agents niteivinient aussitôt pour les refouler et une bagarre éclata, au cours de laquelle des coups furent échangés de part et d'autre. Deux gardiens de la paix, frappés à coups de béquilles et de pancartes, furent blessés ; l'un d eux, qui porte une plaie au sommet de la tete. a ete admis à la Maison de santé. Quatre gardiens, légère ment contusionnés, ont rejoint leur domi cile. Cet incident fut de courte durée ; les manifestants étaient toujours encerclés, lorsque M. Nouveau, président de la Fédé ration des amputés, se rendit à la tête d'une délégation au ministère de l'Inté rieur pour obtenir l'autorisation de défi ler sur la voie publique. Il revint avec cette autorisation, et les manifestants, par la rue Auher et le boulevard Haussraann, gagnèrent la place Saint-Augus tin où, sous les yeux de la police, la dis location eut lieu à 17 heures. D'autre part, le préfet de police nous a déclaré que ses agents avaient reçu l'or dre formel, en cette circonstance, de ne pas riposter aux coups qu'ils recevraient ; une enquête seule démontrera si cet or dre a été suffisamment observé. LES JOURS SE SUIVENT LE CHEF-D'ŒUVRE Il y a des années, un soir d'été, quelques dames et quelques hommes réunis à la campagne se divertirent à marquer sur un papier le personnage qu'ils auraient souhaité d'être s'ils n'avaient été les in connus qu'ils étaient. Jeu innocent. Il g eut 'un ambitieux, assez peu soucieux de son bonheur, pour inscrire : César. Une dame d'un certain âge choisit la reine Ranavalo, ce qui d'abord parut surprenant et devint explicable dix mois plus tard, quand cette malheureuse dame dut être enfermée ; un aventureux élit Casanova de Seingalt ; et trois d'entre nous, dont une dame, nommèrent Chateaubriand... Ce n'était, pas mal choisir : je pense que Chateaubriand a très bien réussi sa vie et qu'il a su prendre à l'existence les satisfactions et les plaisirs les plus forts qu'elle puisse donner — car, à la vérité, il faut lui prendre ce qu'on prétend qu'elle donne. Oh ! je sais : il g a l'ennui dont René se disait accablé. « Je crois que je me suis ennuyé dès le ventre de ma mère ! » Mais cet ennui-là me parait une attitude d'esprit, une élégance métaphysi que plutôt qu'une disposition naturelle. C'est un ennui avec de grands ramages littéraires. C'est un ennui qui trouve sa distraction en soi. L'homme qui a vécu Les Mémoires d'outre-tombe n'a pas pu rencontrer l'ennui à toutes les pages de sa vie. Ni la tristesse, car il possédait contre la tristesse le remède souverain de l'égoïsme. On l'a bien vu, à Rome précisément, après un, événement qui eût endeuillé pour long temps une âme moins cuirassée. La mort de Mme de Beaumont, si louché qu'il fut, lui servit, par l'éclat qu'il donna à sa tombe, à reconquérir des sympathies per dues. Sainte-Beuve, qui disait bien ce qu'il prétendait dire, a en là-dessus un mot très fin : « Chateaubriand avait le don, quand il le voulait, de retourner les cœurs, à com mencer par le. sien... » Une lettre de plus à M. de Fontanes : et Mme de Beaumont fut merveilleusement couchée auprès du sépulcre des Scipions !... Mais les devoirs de sa charge, les esclavages de la politi que, les fidélités aux doctrines ?— tant de sujétions qui ne compensent pas toujours en honneurs ce quelles soustraient des joies de la liberté ? Le vicomte a lui-même, répondu : « En fait de devoir, disait-il spirituellement, j'ai l'esprit primesautier ! » On aperçoit dans cette existence si va riée, si pleine des ivresses du cœur et de l'ambition, on- aperçoit pourtant une las situde sincère ; mais c'était à l'extrémité de sa carrière. « Je me désespère de du rer », cela signifiait en langage noble : « Il m'ennuie, de vieillir ! » Bien sûr ! Ce pendant, quelle vie réussie, tout compte fait ! Chateaubriand a même réussi sa mort. Il ne pouvait prévoir un Mussolini pour inaugurer son buste à Rome. Pour tant, ce mutin, il l'a ! Il y a vraiment des hommes aimés des dieux... Guennantes....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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