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Le Figaro, 11 mai 1938

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Le Figaro
11 mai 1938


Extrait du journal

Quand une Parisienne sort d'une maison de modes ou de couture, avec un air tout particulier, vous savez sans la connaître ou sans avoir droit a ses confidences qu'elle vient de choisir une robe ou bien de IVssaver. Jeune et jolie elle arbore une physionomie . assez victorieuse qui signifie : « Je vais plaire plus que jamais. Renouvelée par ce ravissant modèle, créé polir moi, je vais apparaître avec tous les charmes de .1 inat tendu. En vain, certains censeurs familiaux observeront-ils que la jupe est bien étroite — ou bien d'une ampleur excessive — que la nudité de mon dos frise l'indécence — ou, si c'est une robe « de jour », que la jupe est bien courte, que les épaules sont bien pointues. Ces critiques me prouveront que je suis sortie de l'habitude qu'ils avaient de me voir d'une certaine façon, c'est-à-dire de ne plus faire attention à moi. Cette attention je la veux ; je la provoque, je l'&xige... enfin, je l'obtiens, avec ma robe imprévue, mon couvre-chef inattendu. Une femme à la mode, c'est une Vénus habillée, sortant toute fraîche, en sa parure inédite, de l'océan des formes et des cou leurs. Cette naissance de la beauté, d'une autre beauté, de laquelle l'usage et l'accoutumance n'ont pas terni l'effet glorieux et conquérant est un rajeunissement sai sonnier pour celles qui savent s'en servir. Regardez-moi ! Observez-moi ! Moquez-vous de moi... s'il le faut, mais ce que je désire, avant tout, avec la passion de ma féminité et de mes instincts de vaniteuse jeunesse, c'est de ne pas passer... inaperçue... » Pourtant, la jeune femme passe et, devant les miroirs des vitrines, elle s'examine avec un complaisant dédain pour son aspect d'aujour d'hui ! Ma chère ! exprime son sourire, c'est demain que je t'applaudirai et que tu seras reflétée en toute la grâce. Cette robe d'hier est déjà démodée... À demain ! » Ce sont pourtant des robes d'hier que, , après les collections du printemps 1938 qu'elle vient de voir dans les salons- des couturières et des couturiers en renom, la Parisienne va contempïer au musée Galliéra. ou' les alouro du seizième au dix-huitième .siècle lui sont pré sentés en leurs bizarreries et leurs élégances. Ouc les hommes étaient bien vêtus, alors ! Les brocarts., les velours, les soies et: les dentelles, les broderies, les souta< hc.-. les paillettes'n'étaient pas réservés au seul beau sexe. Et que certaines robes de femmes étaient jolies, sont tou jours jolies ! Quelle science d'une certaine ligne, quelle harmonie malgré i les outrances, quelle séduction malgré les saugrcnuilés ! L'épanouissement du buste dans la mise en évidence de : la gorge ronde, plaît autant que la liberté du corps laissée plus tard aux tuniques grecques du Directoire. Ce n'était pas le règne des dos, ni de cette triste étoffe montante jusqu'au cou. endeuil lant les soirées- du vingtième siècle et n'offrant aux regards que les épines dorsales et les omoplates dégrais sées. Les salons froids alors, rendaient prudents ces dos craignant les pneumonies. Et la gorge de certaines fri- ' leuses se voila à la fin du dix-huitième de la mous seuse transparence des fichus. Que de gaietés dans les couleurs ! Que d'apparat dans les ajustements les plus i simples ! Mais, les jeunes filles d'aujourd'hui qui, en troupes joyeuses, commentent l'agrément de ces vestiges et copient sur leurs albums la forme de certaines man ches et de quelques vestes brodées, ne regrettent rien ! Et elles s'effarent devant les corsets rigides, les buses de fer, heureuses de leurs corps agile et souples. En ces formes de jadis, qu'elles soient plus ou moins absurdes, conventionnelles et même incommodes, en ces couleurs restées si chatoyantes en ces tissus restés si intacts et si beaux, je ne sais quoi d'inimitable s'admire encore et c'est le goût. Car le plus grand couturier, celui dont les lois sont imprévisibles, c'est le Temps. Il respecte cer tains habits, certaines robes, les présente, après deux cents ans, se sert d'eux pour susciter, non plus notre convoitise, mais notre rêverie. Les formes indignes, les fantaisies sans génie, les draperies sans talent ou les exagérations sans prestige, il les voue au « décrochez-moi ça » et les rejette de l'arc de sa faux. Suivi des trois Parques, il file et tisse les étoffes, il les taille de ces mêmes ciseaux dont Atropos tranche le fil des vies humaines. Et il ne laissé durer que les vêtements conservant encore dans leurs plis le mystère d'une beauté qui survit à la chair et peut parer les ombres. Gérard d'HouviIle....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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