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Le Figaro, 12 novembre 1863

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Le Figaro
12 novembre 1863


Extrait du journal

il s'attache par les services qu'il rend et non par ceux qu'il reçoit; philanthrope éminemment pratique, il se dévoue de préférence aux natures perverses ou perverties par la misère, en alléguant cet axiôme : «Etre né bon, c'est du bonheur; s'améliorer, c'est de la vertu. » Jean Baudry a pris par la main, — lorsque cette main était dans la poche de son habit pour lui dérober son porte feuille, — un de ces petits malheureux vagabonds sans famille et sans asile, fils du pavé de Paris, qu'une misère héré ditaire lègue à la honte et au crime avant qu'ils soient hommes faits. lia pris chez lui cet enfant qui, à onze ans, avait le moral plus sale que ses guenilles. Il a nettoyé l'âme et- le corps; il s'est fait le médecin de ce lépreux et le père de cet orphelin, arrachant un à un les mauvais instincts, cultivant les germes excellents d'un cœur laissé jusque-là en jachère, et créant par l'éducation et le bon exemple une <;>ps<âence au paria social. Son œuvre a réussi. Olivier (c'est le nom du jeune voleur à la tiré) est, à vingt-trois ans, un médecin plein d'avenir, qui s'est voué à la science et dévoué à l'humanité. Les riches le recher chent et les pauvres le bénissent; mais il fait attendre volon tiers ceux-là pour accourir vers ceux-ci, et les mains qui se dent vers la sienne sans bourse pleine d'or sont celles qu'il aime à serrer de préférence. Je suppose que l'existence aisée que lui a faite son bienfaiteur lui rend facile ce dédain d'un côté, cette sympathie de l'autre. Olivier n'a gardé de son naturel lentement et difficilement dompté qu'une sauvagerie pleine de piquants , laquelle gâte beaucoup les vertus qu'on lui a fait acquérir et, la passion aidant, laisse éclater toute la fougue , toute la férocité des penchants mauvais. Il est clair que le négociant a bâti sur un de ces terrains volcaniques, riches en végétation parce qu'ils sont remués sourdement par les tressaillements du cratère assoupi mais non éteint qui les recouvre. Le propre de ces hommes, dont les pieds sont dans l'abjection tandis que la tête est dans l'orgueil, c'est de se plaindre beaucoup de la société à laquelle ils doivent un généreux oubli du passé, et, bien que comblés et quelquefois rassasiés par elle, de se croire lésés et dépouillés de tout ce qu'elle accorde moins généreusement à ceux qui, partis de moins bas, ne sont allés ni si vite ni si loin. Le pupille de Jean Baudry a toutes les mauvaises suscep tibilités de la pauvreté; il saigne par toutes les blessures que lui fait le bonheur d'autrui. Il est de ceux que l'ombre d'une montagne écrase, et tout est montagne pour ce cœur ombra geux dont la fierté, douloureusement contenue, est faite d'en vie. Mais ce qu'Olivier supporte plus difficilement encore que la prospérité des riches et le sourire des heureux, c'est le bien fait auquel il doit son rachat. Il a beau entourer de respects le nom de Jean Baudry, la haine perce sous cet hommage con traint rendu à une vertu éclatante. La tendresse inépuisable et sans bornes du négociant est comme une rente qui, en se capi talisant, augmente chaque jour la dette et finira par rendre le débiteur insolvable. Il en souffre, il en meurt, et le montrs jusqu'à l'emportement. 11 fuit son bienfaiteur : c'est haïr le bienfait. Je déclare que je n'ajoute rien au malheureux caractère du jeune docteur : je le prends tout fait dans la pièce de M. Au guste Yacquerie. Olivier aime une riche héritière, Mlle Andrée Bruel : dans son état de pauvreté et dedépendance, c'est détester les riches et maudire la richesse, et j e vous prie de croire qu'il se donne carte blanche là-dessus. Cen'est point un refus qu'il craint en avouant son amour, car, sans avoir ni fait ni reçu de confidences, il se sait aimé d'Andrée. Mais il redoute pour sa fierté l'affront d'être confondu avec ces coureurs de dots qui marchandent les jeunes...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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