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Le Figaro, 13 mai 1934

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Le Figaro
13 mai 1934


Extrait du journal

Il faudra que je prie Dosithée de ve nir quelquefois me voir quand elle est de bonrie humeur et qu'elle a une crise d'optimisme. Elle ne songe à moi que si elle est bouleversée. Elle me fait des visites pathétiques et qui ne sont pas bonnes pour mes nerfs. Elle devrait les ménager ainsi que je prends soin de les ménager moi-même, et se rappeler que j'ai vingt ans de plus qu'elle. Ah ! qu'elle sera fâchée que je n'aie pas dit quarante, si par malencontre ces lignes lui tombent sous les yeux ! J'ai connu jadis une autre Dosithée, qui avait tous les vilains petits défauts des femmes et qui vraiment ne s'en doutait pas, mais qui, en revanche, se flattait d'avoir toutes les qualités de l'honnête homme. Elle déclarait, sans fausse, modestie, qu'elle était une amie incomparable : 011 a toujours tort de se * croire incomparable en quoi que ce soit. Ceux qu'èlle favorisait de cette amitié sans seconde n'entendaient jamais par ler d'elle quand ils étaient en joie et en bonne santé : dès qu'ils avaient la moindre broncho-pneumonie double, elle venait s'installer à leur chevet et leur gràtjtude était infinie, mais ils ne pouvaient se défendre de penser à sa vue : « Suis-je donc condamné ? » Dosithée n'est pas sans ressemblance avec cette incomparable amie, que son astre, en naissant, avait créée infir mière. pour le. physique et pour le mo ral ; mais elle n'est pas tout à fait aussi désintéressée, et ce n'est point quand je suis à l'article de la mort, mais chaque fois qu'elle a elle-même un petit ennui qu'elle vient à la maison, je ne dirai pas nie réconforter de sa présence, mais se réconforter de la mienne. Elle a fait hier qpir dans ma biblio thèque, où je veux bien l'admettre les jours fériés, une entrée théâtrale. Elle s'est laissée choir sur un divan, d'ailteurs avec beaucoup de grâce. Je lui demandai à quel propos elle était ainsi toute sens dessus dessous. — Ah ! soupira-t-elle, c'est ce crime abominable... Depuis surtout que le meurtrie» a fait des aveux... Car les énigmes policières ne piquent pas ma curiosité..! Célle-ci, du reste, n'était pas une énigme pour moi... Dès la première heure... Je n'eus pas l'impertinence de lui demander de quel crime elle parlait, et je lui avouai que moi-même, qui passe exprès les faits divers quand par ha sard je lis les journaux, je n'avais pas vouhi perdre un seul détail de celui-ci. — Je n'ai pas, dis-je, pour Barbey d'Aurevilly une admiration sans re serve, mais j'ai pensé à lui, et l'on me pardonnera de dire que je l'ai regretté, lorsque j'ai lu dans les feuilles le re portage de cet assassinat et la descrip tion du sinistre décor. Quel récit, quelle peinture nous aurait donnés l'auteur des Diaboliques !... Il ne s'agit pas de littérature, fit Dosithée avec impatience. — En effet, dis-je. Excusez-moi, c'est le pli. — Quel pli ? — Le pli du métier. La déformation professionnelle. Je rougis d'avoir pu, ^ propos de cette horreur, songer moins à l'horreur elle-même qu'au parti qu'un Barbey d'Aurevilly en aurait tiré. Ce pendant, chère Dosithée, nous devons, je crois, endurcir notre sensibilité, et comme disent naïvement les médecins, éviter les émotions. Certes, rien de ce qui est humain, et même inhumain, ne nous est étranger; il serait mons trueux d'interdire, et nous devons ce pendant modérer, la charité, la sym pathie. Ce n'est pas là de I'égoïsme, c'est de l'hygiène. Tenez, j'ai connu beaucoup, il y a fort longtemps, un homme sensible (c'était un confrère), qui ne pouvait soutenir la lecture des comptes rendus des tribunaux, ni de ce qu'on appelle dans les journaux les chiens écrasés. Lorsque, en dépit de ses précautions, il s'était par megarde fourvoyé dans l'une ou l'autre de ces rubriques, il en était malade pour toute l'après-midi. Cela a pensé tourner très mal. Son pauvre système nerveux était en si fâcheux état qu'un psychiatre voulait l'envoyer à la Malmaison. S'il n'y est pas allé, c'est que tbutes les places étaient déjà prises par des hom mes politiques désireux de faire re traite, pour raison de santé ou pour toute autre raison... — Je ne suis pas une femmelette, interrompit Dosithée. Je lui fis observer que cela ne se dit que des hommes. — J'ai, poursuivit-elle, de la sensibi lité, mais raisonnablement, et je con viens volontiers qu'étant donné ce qu'on voit chaque jour, si l'on perdait à tout coup le sang-froid, on serait vite sur le chemin de la maison de santé. Mais à l'émotion bien naturelle que me font éprouver malgré que j'en aie ces faits divers, il s'ajoute maintenant une sourde angoisse... — Bah ? — Vous savez comme je suis à la page... — Certes !... Et même, vous me per mettrez, chère amie, de vous le dire, je ne crois pas avoir toujours sujet de vous en faire mon compliment. — Eh bien, si prévenue que je sois en faveur de notre temps... — Dites du vôtre : le mien est si reculé...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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