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Le Figaro, 14 avril 1910

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Le Figaro
14 avril 1910


Extrait du journal

Les élections, — et cependant je ne m'y intéresse pas jusqu'à la frénésie — produisent sur moi un effet singulier. En parle-t-on, mes yeux rencontrent-ils les-p.apiers de couleur offensante collés aux murs, j'aperçois aussitôt, quelque lointain endroit de Francejadis traversé en hâte, ou qui m'a retenu une heure, un jour, une semaine. Je me souviens des- « cafés du commerce » — à moins que ce ne fût « de la poste » — dans les quels, durant une panne d'automobile, j'ai regardé le maire, jouant aux cartes, et, parfois, surpris les fragments d'une discussion politique. Je revois des villes sonores, des villes silencieuses, des physionomies campagnardes, une petite église; fléchissante et solide, au bord d'un cimetière bourdonnant, d'abeilles ; un chemin d'ombre, une rue mangée de soleil, cent paysages du Nord et du Midi, parmi lesquels je me représente les candidats, circulant, pleins de paroles et de soucis. Et aussi-reviennent maintes nuances de mœurs et de sentiments que j'ai cru deviner dans le style d'un étalage, le texte d'une enseigne, une affiche, l'air actif ou flâneur, le bon accueil, la mé fiance des compatriotes dont le;liasard du voyage me rapprochait. Je rassemble ces .• notes éparpillées, je cherche des analogies... Ces élections, Dieu sait •pourquoi ! me contraignent à réfléchir sur-le caractère français. Je suis — bien entendu — persuadée de le connaître à fond. Pourtant, lorsque j'essaye de taire- tenir dans la fixité de ses lignes traditionnelles les minces et nombreuses observations, ramassées en des points divers, et celles plus évi dentes,plus directes, recueillies tout près, des faits, accumulés sans que j'y prisse garde dans la chambre aux débarras de ma mémoire, se lèvent et protestent. Quelque chose serait-il changé, ou sur le point de changer dans le caractère français? Il me semble que oui. Nous ne voulons pas ce que voulaient nos devanciers. Naturellement ! et cela a toujours été ainsi. Chaque génération détruit l'idéal de la précédente. Comme ces médicaments, qui guérissent pen dant une période, puis deviennent inef ficaces, voire nocifs, un idéal ne sert qu'un temps ; mais ce qui me paraît changer, ce n'est pas tant nos buts et la nature dé nos poursuites, c'est la ten dance qui construit nos désirs, c'est notre manière de regarder la vie. 11 y a pour cela bien des raisons. Plus d'une grande et petite chose lourde de conséquences est advenue aux Français. Je ne vais pas les dire toutes... Mais celle-ci, par exemple. Ils se sont, afin de se divertir, beaucoup promenés sur les routes de France. Les riches ont été partout. Les moins riches ont dépassé largement ces environs immédiats des cités, où leurs parents se délassaient. Les gens des villes ont vu ceux des cam pagnes. Les paysans ont aperçu les cita dins. Ces contacts, pour superficiels qu'ils fussent, déposaient quand même des images dans l'esprit des uns et des au tres. Des êtres, des coutumes, des mi lieux, qu'on se représentait vaguement, ou pas du tout, ont pris place dans la conscience entre les êtres, les coutumes «t les milieux familiers. Le nombre des Français, qui depuis dix ans ont découvert la France, est con sidérable .Les effets de cette découverte commencent à donner des résultats. L'orgueil national augmente, cela est certain. Nous nous dénigrons encore, vieille habitude et d'ailleurs pas si mau vaise. Mais, au fond de nos cœurs, le respect a grandi pour la beauté multi forme du pays, ses ressources inépuisables> son.urdeur au travail, la véritable et résistante sagesse que masquent ses apparentes folies, toutes les possibilités de sa vie forte et chaude. Et puis en par courant les provinces dans leur automo bile, ou sur de modestes bicyclettes, des gens se sont souvenus — avec leur sen sibilité au moins —que bien avant qu'ils devinssent Parisiens, Marseillais, Lyonnai.Sj ils avaient été Normands, Picards, Bretons. Ils ont reconnu des points du sol que jamais encore ils n'avaient fou lés. Des analogies de sang et de rêve se sont révélées entre eux et des groupes mis en oubli pendant des générations. Les ancêtres parlaient!... Ils ont. ces touristes, renoué des liens de famille, distendus depuis des siècles , mieux compris leurs compatriotes et possédé leur patrie. Car on ne possède cela seu lement que l'on voit. Or tout sentiment de propriété crée un peu d'amour. On ne demeure pas indif férent à ce'qui se passe dans une région. connue. On n'apprécie pas d'après ni; système tout fait le drame survenu \£ où on a passé, la grève qui se produit dans une mine où on est descendu. Le souvenir, d'une-parole drôle ou, coura geuse, d'un visage usé' par le travail,...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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