Extrait du journal
Une saison d'art nouvelle se rouvre. Nous allons revoir des Salons, de mul tiples expositions. Nous irons avec la même ponctualité, la même bonne vo lonté, pour voir si les « chercheurs » sont enfin devenus des trouveurs, et toujours avec cette espérance obstinée, découvrir le talent inconnu, original, puissant et sain. Désavouer est une né cessité si triste, admirer est une telle joie ! Faut-il escompter que l'art se sera heureusement transformé ? Non : ce n'est point là le miracle d'un seul été, et les mauvaises habitudes se perdent moins aisément que les bonnes. Mais il ne semble pas douteux, du moins, qu'on, respirera un air renouvelé. Un fait, entre cette saison et la pré cédente. s est en effet produit. Malgré les .bluffs et les maquillages de la véri table^ situation, divers scandales avaient enfin révélé au public circonvenu et crédule qu'il y avait quelque chose de pourri dans le royaume de la peinture. Le krach est arrivé, brutal. Tout ce qui avait été, prédit ici s'est accompli de point en point et aux dates prévues. Le rôle de Cassandre est bien ingrat, mais il faut bien que quelqu'un l'assume : et Cassandre avait raison. Les artistes ont beaucoup souffert. Ne distinguons plus lès clans et les genres, ne distin guons plus entre ceux qui gagnaient trop et ceux qu'ils avaient supplantés cruellement sur le marché. La crise les a rendus égaux. Tous ont souffert, et souffrent encore. Et ils ont bravement supporté. Qui les a secourus ? Personne. Ni l'Etat, malgré promesses et plans de grands projets. Ni les amateurs-reven deurs ayant joué à la Bourse aux huiles. Ni la presse publicitaire des galeries. Ni les marchands engraissés de la subs tance même des altistes; Personne. Les ateliers, quelque peinture qu'on y fit, ont pii mesurer amèrement ce que va laient les boniments sur l'indépendance, sur l'amour de l'art. Oui, les artistes ont souffert et souffrent. Mais il est bon qu'ils examinent pour quoi et par qui. Leur malheur aura eu du moins ceci d'utile : la griffe qui les étreignait s'est desserrée. Quelle griffe ? D'abord, celle des marchands. Ils ont été cupides. Ils ont créé un régime d'inflation. De compte à demi avec quelques vedettes, par l'appât de contrats mirifiques, ils ont déterminé là surproduction insensée d'une foule de pauvres rapins illusionnés, qu'ils ont ensuite laissés tomber froidement, et dont le flot a engorgé Salons et galeries. Il y a un peu plus de cent ans que le commerce des tableaux s'est installé en boutique, avec la maison Goupil, si je ne me trompe, vers 1829. Jusqu'alors, on allait au domicile des artistes. Quel ques marchands de couleurs s'offrirent à être intermédiaires entre les peintres romantiques et les amateurs, puis les firmes s'établirent. Elles furent d'abord honnêtes, Ingres et Delacroix l'attes tent. Puis le courtage s'introduisit. On peut mesurer les ravages qu'il faisait déjà il y a un demi-siècle en lisant l'Œuvre de Zola, cette évocation si vraie, si poignante, du temps héroïque des impressionnistes. Encore ceux-ci trouvèrent-ils des vendeurs probes : et c'était l'âge de l'innocence auprès de ce que nous avons vu, avec quel dégoût ! depuis la mort et « le coup » de Cé zanne. La peinture a ses grands-finan ciers-forbans qui mènent son monde. Ils ont imposé le travail « à la chaîne », et avili l'art et son ouvrier. Faux pro tecteurs, \3 soutenant comme la corde soutient le pendu. Certes, il existe en core des marchands honnêtes : mais que peut une faible minorité, alors que de puissants cartels font la loi ? Les uns et les autres ont été entraînés dans la même crise.de déflation atteignant les faiseurs et les vrais mérites. Par la force, la griffe mercantile s'est donc desserrée. Une domination immo rale, responsable de milliers d'espoirs déçus, chancelle. Mais une autre griffe, aussi, s'est détendue. Celle des publicistes et des théoriciens de l'absurde. Ils ont fait, dans leur genre, autant de mal que les mercantis et leur monde spé cial de regrattiers. L'ont-ils su, l'onl-ils voulu ? Certains ont été compères, d'au tres sceptiques, d'autres moutonniers. Il en est qui, affolés par le nouveau et l'original, ont jeté des paradoxes sans vérifier les dégâts aux points de chute. Il en est qui se sont divertis, avec quel que perversité, à . matagraboliser les peintres, qui sont presque tous des gens simples. Il y a eu enfin les fanatiques et les illuminés qui surgissent toujours...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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