Extrait du journal

Vous connaissez l'aventure et comment ce jeune homme se mit en une caisse, afin de parvenir aux bords américains. Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ! Mais Ulysse aimait le grand air, et, encore que l'œil ne se rassasie pas dé voir ni l'oreille d'entendre, il écoutait le bruit des mers et contemplait les vagues dangereuses. Si le subtil fer mait ses deux oreilles, en les emplissant de cire d'abeille, ce n'était point, comme certains de nos contemporains, qu'il craignît pour son sommeil, le vacarme des autobus et la corne aiguë des taxis. Mais il avait sagement peur de ces princesses de l'onde, redoutables entre toutes, et dont les concerts s'achèvent en queue de poisson. Nous vivons tous, à vrai dire, en de petites boî tes ; nous les nommons pièces, et plusieurs de ces petites boîtes forment un appartement. Mais nos logis du moins sont pourvus de fenêtres, où le soleil parfois sourit à nos mélancolies. Pourtant, nos boî tes né nous suffisent poiht et? tious rêvons parfois de nous élancer par le monde. Nous sommes pareils à ces navires à qui les poètes généreux prêtent des sentiments et même des pensées. Nous ne manque rons point, quelque jour, de composer une Psycho logie des Carènes / Mais vous vous rappelez les vers de Rodenbach : Etre comme un vaisseau qui rêvait d'un voyage Triomphal et joyeux vers le rouge Equateur Et qui se heurte à des banquises de froideur Et se sent naujrager sans laisser un sillage. Ah ! laisser un sillage... C'est une grande af faire. C'est un beau rêve. Mais vous voyez-vous, soigneusement emballé, à la manière d'un lustre, dans une caisse, et voguant, dans l'ombre d'une cale, sur les ondes atlantiques ? Excellente situation...