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Le Figaro, 16 mars 1930

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Le Figaro
16 mars 1930


Extrait du journal

Us sont, avant les hirondelles, les messagers du printemps. Ils ont, d'ailleurs, la couleur des ver dures et des blancs nuages voguant dans un tiède paur au-dessus des bois renaissants. : Oh ne saurait les revoir sans émotion, légers "sur fcr'éheiiiiri des eaux, le long des arbres tju'ehiplirâ • demain la brume dorée des bourgeons éclos. Heu reux les Parisiens qui, pour gagner leur bureau, leur magasin, leur atelier, peuvent emprunter matin et soir ce moyen de locomotion et ne plus se hâter sous terre par des chemins infernaux vers le pur gatoire du labeur quotidien ! Après une journée pénible, on renoue ainsi avec ses rêves ; l'être le moins poétique a les siens ; ils sont là depuis l'enfance ; ils sont prêts à se réveiller si un rameau touche au passage le front ridé, si une chanson voltige. Aux carrefours, ce sont les rêves qui groupent autour des chanteurs •ambulants le public le plus disparate. Les bateaux permettent chaque soir de retrouver au fil de l'eau, image de la vie, et berceuse et trompeuse, les rêves grâce auxquels on surnage, comparables au vert paradis des amours enfantines où l'homme peut toujours se réfugier, même et surtout peut-être ce cousin de Salavin au binocle de guingois, à la moustache pauvre, aux lacets mal noués, et dont soudain les doigts sur les genoux pianotent on ne sait quel air consolateur parce que l'air est tiède et chargé d'effluves sucrés, parce qu'il est doux de se laisser emporter. Il faudra descendre à Gre nelle ou au Point-du-Jour, mais vienne le dimanche, les bateaux s'alourdiront jusqu'à sembler traîner dans le fleuve des grappes humaines. Passé le Point-du-Jour, passé Billancourt, ce sera Meudon, Sèvr€s, Suresnes, les reflets des maisons roses, et l'appel sur les coteaux des bois bien clairs encore, mais où l'oiseau module une chanson d'aniour. Chacune de ces gares flottantes qui jalonnent la Seine à travers Paris a été maintes fois l'embarca dère pour Cythèrei» C'est le soir surtout, alors que les reflets des lumières prennent dans • l'eau la; forme et la couleur des lanternes vénitiennes. Liés à tout un charmant passé, proche et si lointain, depuis le temps où Auteuil et Meudon étaient le bout du monde, où la vigne couvrait les coteaux de Suresnes, s'ils mettent des vertus en péril, pour la rime d'avril, les bateaux parisiens méritent pourtant de survivre à tant de choses .qui disparaissent et qui ralentissaient si agréable ment la vie. Peut-être sans eux la blonde et frêle Mimi Pinson qui était hier assise près de moi, et qui lisait Musset, n'eût-elle pas eu le loisir de lire, sinon dans l'at mosphère du métro, les vers enchanteurs : Le carnaval s'en va, les roses vont éclore... Avant les signes du printemps dans les cieux, les bateaux parisiens ramènent l'espérance et beau coup, les voyant reparaître, respirent plus libre ment. , Jean Lebrau....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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